Publié le 23/02/2024

Réussir sa reconversion (3) Claire Tabbagh. De photographe du patrimoine à artisan chocolatière

Propos recueillis par Hervé Dreano

 

Du grand angle à la cabosse...

La trêve des confiseurs est encore loin et l'effervescence est palpable à l'Officine du Cacao, pharmacie reconvertie en atelier-boutique de chocolaterie lové en plein centre de la Charité-sur-Loire, sur la place la plus animée de la commune nivernaise. Ambiance gourmande et conviviale... Claire Tabbagh nous fixe rendez-vous un peu plus tard sur le Marché de Noël. Notre chocolatière y tient un stand sous les arcades de l'iconique cloître gothique du Prieuré, étape du chemin de Saint-Jacques de Compostelle classé au patrimoine mondial de l'Unesco. Elle s'accordera ainsi plus de temps pour partager autour d'un vin chaud et dispenser quelques brèves d’“officine”. Les premiers clients sont agglutinés sous le barnum autour d'un poêle à bois pour se réchauffer. Il est vrai qu'il fait un froid de gueux dans ce Prieuré et sa salle capitulaire, situés à une encâblure du grand fleuve qui se cache sous la brume hivernale. 

Le parcours de vie de Claire Tabbagh est singulier à bien des égards. Bercée par le patrimoine et l’archéologie, elle s'est d'abord formée au métier de photographe pour, progressivement, se spécialiser dans les objets du patrimoine dans les musées. C'est ainsi que, durant une quinzaine d'années, notre photographe du patrimoine est amenée à sillonner les routes de France pour répondre à des appels d'offres de marchés publics, devenus de plus en plus hasardeux et fastidieux au fil du temps. Elle finit par se lasser de devoir sans cesse décrocher le graal, des contrats qu'elle sait, de toute façon, précaires et toujours temporaires.

La crise de la quarantaine est l'occasion de faire le point. Elle décide alors de se poser et de remiser sa valise photo dans ce département de la Nièvre qui lui est cher et rempli de souvenirs familiaux.

“Je voulais définitivement m'inscrire dans mon territoire” dit-elle.

Elle songe déjà à sa reconversion, sans idée très arrêtée de ce qu'elle pourrait faire alors. La filière alimentaire et, plus particulièrement, le chocolat la “titille” depuis un bout de temps.

“En termes de plaisir et réconfort personnel, quel produit alimentaire est plus valorisant que le chocolat ?”

Après avoir suivi un coaching par la méthode Diva (Développement des Intérêts et Valeurs de l'Adulte), une méthode sous forme d'entretiens aidant à construire ses intérêts professionnels et personnels et clarifier ses propres valeurs, elle doit arbitrer entre deux écoles destinées spécifiquement aux personnes en reconversion qui préparent au CAP chocolatier-confiseur : L'INPB de Rouen en Normandie (Institut National de la Boulangerie Pâtisserie) ou l'ENSP (École Nationale Supérieure de Pâtisserie), autrement appelée l'École Ducasse, située à Yssingeaux dans la Haute-Loire. Est-ce le prestige et la renommée de la marque Ducasse qui lui font finalement opter pour cette dernière ou la perspective de s'inscrire déjà dans un territoire ?

Assurément, les deux !

Toujours est-il que le coût de la formation n'est pas négligeable, ce à quoi il faut ajouter le logement, la nourriture et le transport. Un financement partiel obtenu auprès de divers organismes lui permet cependant de réduire sa facture. Comme elle le dit “l'expertise Ducasse n'est plus à démontrer et elle se monnaye en quelque sorte...”.

Une fois diplômée, près de deux années s'écoulent avant que Claire ne puisse ouvrir sa boutique. La période de latence a été mise à profit pour se tester dans une chocolaterie au sortir de son école. Le local convoité, une ancienne pharmacie, n'étant disponible qu'à la vente, Claire s'est attelée à monter un projet d'acquisition sérieux et exhaustif, tout en viabilisant l'équilibre économique. Il fallait en parallèle créer l'entreprise proprement dite.

“Sans le CAP et la réputation de l'école, la confiance des partenaires financiers aurait été plus dure à obtenir. Il m'a fallu tout de même fois revoir plusieurs fois ma copie et crédibiliser un montage économique complexe des deux structures” assène-t-elle. 

Qui plus est, l'ancienne pharmacie étant classée “immeuble remarquable” au regard du Patrimoine de la Commune, elle est de facto soumise à l'aval de l'Architecte des Bâtiments de France, un préalable à toute rénovation et utilisation à but commercial.

Les autorisations étant données, l'Officine du Cacao peut enfin ouvrir en mai 2023. 

“J'ai connu des moments de doute et de fatigue physique et mentale. C'est un truc de dingue quand-même. Sans les encouragements bienveillants de mes proches, d'amis sur la commune, les conseils de mon réseau et de mes copines de l'École Ducasse, cela aurait été plus difficile encore. Deux d'entre-elles sont venues avant et après l'ouverture pour m'aider à la production. Une autre est ma hotline pour les questions de recettes” confie-t-elle.  

Deux critères président à son commerce : un unique intermédiaire sourceur entre sa chocolaterie et les producteurs de cacao, gage de qualité et d'éthique et une torréfaction douce effectuée dans son arrière boutique pour exprimer tous les arômes du terroir d'origine. C'est aussi ce que l'on lui a enseigné. 

Claire a plein de projets en tête pour animer son atelier-boutique et des recettes pour stimuler les papilles, comme ce chocolat aux arômes de pin du Morvan ou encore cette barre de nougat tendre amande/cacahuète au chocolat 100% et au grué de cacao.

Enfin, quel plus beau réconfort aussi que de voir l'ancienne pharmacienne venir donner un coup de main amical et bienveillant à la vente. Un brin nostalgique, cette dernière se laisse aller à cette comparaison pétrie de bon sens : “les anciens clients de la pharmacie venaient ici acheter des médicaments qui les soignaient tel un baume au corps ou à l'âme. Au fond, le chocolat n'offre pas grand chose de tellement différent”. Et Claire d'approuver.

On dit du cacao que ses vertus influencent l'hormone de l'humeur, une pharmacopée naturelle. 

Et de conclure  “J'ai appris de mes erreurs. Le conseil que je pourrais donner à ceux qui se lancent dans une reconversion avec un projet de création d'entreprise, c'est de se ménager de belles pauses primordiales dans le gravissement de la montagne !”