Publié le 18/09/2024

La gestion de carrière chez les sportifs de haut niveau : l'exemple de Delphine Réau

La gestion de carrière chez les sportifs de haut niveau : l'exemple de Delphine Réau

Propos recueillis par Françoise Boyer.

Les JO de Paris viennent de s'achever sur un véritable succès sportif et populaire. Après les médailles et les honneurs, le plus dur commence pour ceux qui vont tirer leur révérence. Titrés ou non, la reconversion des sportifs de haut niveau est un sujet complexe et sensible. Profiter de la dynamique, oui mais comment ? 

Durant la carrière, il faut aussi subvenir à ses besoins car les sportifs de haut niveau ne vivent pas tous de leur sport, loin de là. Viser juste et tenir la distance. Ainsi pourrait-on résumer la carrière de Delphine Réau, championne olympique de tir qui œuvre aujourd’hui à la reconversion des sportifs de haut niveau.

L'importance du double projet et la difficulté matérielle à le mener en parallèle 

Membre de l’équipe de France de Tir à la Fosse olympique depuis 1994, Delphine Réau a remporté deux médailles à douze ans d’écart, l’argent aux JO de Sydney en 2000 et le bronze à Londres en 2012. Parallèlement à cette carrière sportive exceptionnelle, elle obtient un diplôme d’Études Supérieures Comptables et Financières (DESCF) et intègre un cabinet d’audit en 2001. « Mon statut de championne m’a aidée à obtenir une convention d’insertion professionnelle qui m’a permis de continuer à pratiquer mon sport ».

Ensuite, les choses se compliquent. En 2003, elle gagne la coupe du Monde en Espagne, qualifie son équipe pour les JO d’Athènes dans sa catégorie (fosse olympique dame) mais son cabinet est racheté, elle subit un licenciement économique. « J’étais bancale, affaiblie ». Elle perd sa qualification individuelle aux Jeux. Loin de baisser les bras, elle retrouve un emploi, non sans difficultés car la situation de sportive de haut niveau effraie souvent les employeurs potentiels.

Elle intègre alors Bouygues Construction dont le DRH est convaincu que « c’est un plus pour les collaborateurs de travailler avec des athlètes pour forger un esprit d’équipe. Cette collaboration peut aussi donner aux salariés l’envie de pratiquer un sport ».

Aujourd’hui, après dix-neuf années passées chez Bouygues Bâtiment Île-de-France, Delphine Réau rejoint l’équipe comptable de Bouygues Bâtiment International où elle devient responsable comptable de l’Europe centrale avec notamment comme mission le déploiement d’un ERP (logiciel de finance intégré) en République tchèque. En parallèle, elle poursuit deux objectifs : préparer les athlètes de haut niveau à leur vie « d’après » et intégrer le sport dans l’entreprise. « Mon vécu m’amène à vouloir rassembler univers sportifs et professionnels en relançant l’intégration de sportifs de haut niveau dans l’entreprise. Il faut les y aider car, focalisés sur leurs objectifs sportifs, ils n’ont souvent pas le temps de réfléchir à leur avenir. »

Aménager son temps avec la convention d'insertion professionnelle

Il existe pour ce faire un dispositif évoqué plus haut, dont Delphine a bénéficié dès le début de sa carrière : la convention d’insertion professionnelle. Elle s’adresse aux amateurs ou semi-professionnels classés en quatre catégories suivant une liste établie par l’Agence Nationale du Sport (ANS) : l’élite, qui regroupe les athlètes déjà médaillés aux JOP et/ou en compétition internationale, les séniors, encore en progression, bien classés à l’international, la relève, autrement dit les plus jeunes, futurs séniors dont on a perçu les talents. Enfin, dernière catégorie, les sportifs en « reconversion », dont la carrière touche à sa fin. Souvent mal accompagnés par les fédérations « davantage challengées sur les athlètes susceptibles de remporter des médailles ».  On leur propose souvent une reconversion dans la préparation mentale, l’entraînement technique, voire la douane ou encore la police et bien d’autres structures publiques. Il faut reconnaître, note Delphine, que les fédérations « n’ont pas toutes la capacité de mettre en place un accompagnement ».

Heureusement, l’ANS est là pour venir en appui des fédérations avec la mise en place d’une convention d’insertion quadripartite qui permet à l’athlète d’intégrer le monde de l’entreprise. Quatre signataires : l’entreprise, la fédération, l’ANS et bien sûr l’athlète, avec le soutien de son entraîneur. Il faut noter que si la convention d’insertion permet la reconversion d’athlètes en fin de parcours, elle peut aussi s’adresser aux sportifs en pleine activité.

Le principe est proche de la formation en alternance : l’athlète est détaché de l’entreprise pour suivre ses entraînements et compétitions. Il peut tester différents emplois et procéder au besoin par élimination.

De l'utilité à se faire accompagner

L’APEC propose également des stages en entreprises pour tester les différents métiers envisageables. Cette convention représente une avancée considérable pour l’insertion professionnelle des athlètes.

Un exemple parmi d’autres, la marcheuse Clémence Beretta, 26 ans, une « walking girl », détentrice du record de France du 20 km. Elle est aujourd’hui détachée chez Bouygues en prévention santé sécurité, tout en se projetant vers les JO de Los Angeles en 2028, puis de Brisbane en 2032. 80% de son temps est dévolu au sport, 20% à l’entreprise. Rémunérée par Bouygues à 100%. Différents dispositifs défraient l’entreprise, mais le plus grand frein à l’accueil des sportifs reste « les problèmes d’organisation, de disponibilité qui sont plus faciles à résoudre dans un grand groupe que dans une PME ».

Garder plusieurs fers au feu

Delphine Réau, quant à elle, garde toujours plusieurs fers au feu. « Le challenge est dans mon ADN ».  Si elle occupe encore aujourd’hui différentes fonctions dans le domaine sportif, elle est aussi conseillère municipale du village de Senlisse, en Vallée de Chevreuse, où elle réside. Un besoin viscéral de se confronter à de nouveaux défis l’a amenée en 2023 à participer au championnat de France de tir, qu’elle a remporté « le corps n’oublie pas ». Et cerise sur le gâteau, c’est encore elle qui a commenté le tir pour France TV lors des JO de Paris, à Châteauroux.

Petit conseil à destination des athlètes de haut-niveau en fin de carrière : « Vous n’êtes plus seuls, anticipez votre reconversion avant même la fin de votre carrière en vous adressant à l’ANS ou encore à l’APEC qui peuvent vous trouver des solutions de formations adaptées vous permettant à terme soit d’intégrer une entreprise ou soit de la créer vous-même ! Votre force c’est votre histoire d’athlète, n’oubliez pas que vous avez une grande capacité d’adaptabilité et de résilience qui sont de vrais piliers pour votre reconversion ! »

 


À lire !  : l'enquête APEC sur la reconversion des sportifs de haut niveau