Publié le 12/12/2024

La fabuleuse Odyssée de Sonia Bichet, poissonnière-écaillère, meilleure ouvrière de France 2023

La fabuleuse Odyssée de Sonia Bichet, poissonnière-écaillère, meilleure ouvrière de France 2023

Propos recueillis par Françoise Boyer

Meilleure ouvrière de France 2023 en poissonnerie-écaillerie et championne du monde des écaillers en 2020, Sonia Bichet a décidé de mener sa barque de façon singulière. Guidée par sa curiosité et sa soif de réflexion sur son propre métier, elle vient d’effectuer un tour du monde à l’instar des compagnons du Devoir. Une itinérance qui l’a menée sur les océans du monde entier, à la rencontre des acteurs de la filière pêche. Nous sommes allés nous entretenir avec elle pour mieux comprendre sa quête personnelle.

 

Née en 1995, Sonia a grandi à Saint-Robert, un hameau de Cernay-la-Ville, en Vallée de Chevreuse. Aucun atavisme familial ne la prédestinait à son futur métier. En 2013, elle obtient un baccalauréat scientifique au lycée de Rambouillet. Parallèlement à ses études secondaires, elle travaille le week-end dans une poissonnerie rambolitaine et admet aujourd’hui : « j’étais plus assidue à la poissonnerie qu’en cours. »

De cette expérience naît sa vocation. Une fois son bac en poche, elle décide de s’inscrire à l’École de poissonnerie de Rungis et passe avec succès le Bac pro d’écailler-traiteur en deux ans. 

« Mes parents sont très ouverts, ils m’ont laissée libre de ma décision ».

 

En 2015, Sonia est sacrée meilleure apprentie de France (MAF) pour sa réalisation d’un plateau de fruits de mer, d’une soupe de poisson et d’une préparation culinaire. Elle passe alors le concours d’écailler, se spécialise dans les fruits de mer et rejoint un palace suisse pour la saison hivernale. Ensuite, direction Monaco, où elle officie durant trois ans dans de prestigieux restaurants. Elle remporte en 2020 la coupe du Monde des écaillers sous les couleurs de la Principauté.

 

Retour en France pour une collaboration avec le chef Pierre Gagnaire. Sonia s’éloigne alors des fruits de mer pour s’orienter vers le poisson et, en 2023, elle reçoit le titre de meilleure ouvrière de France en poissonnerie-écaillerie.

 

Loin de s’endormir sur ses lauriers, elle décide, toujours en 2023, de prendre le large avec son projet “vingt-mille lieues sur les mers”. Son objectif : promouvoir l’artisanat français du poisson sur les différents continents. Le projet reçoit le soutien logistique et financier de la présidence de la République et du ministère des Affaires Etrangères. Premier partenaire : l’organisation poissonnier écailler de France (OPEF). Les différents contrats conclus avec les restaurants locaux et les master class données sur place compléteront ce financement.

De l’Irlande à l’Australie, en passant par la Nouvelle-Zélande, l’Angleterre, l’Islande, les États-Unis, le Costa-Rica, le Pérou, Madagascar, le Japon, Singapour, le Sénégal et le Portugal, partout, elle va au contact et engage avec les différents acteurs de la filière : pêcheurs, pisciculteurs, chefs de restaurants. Elle anime des formations et des ateliers éducatifs pour les enfants autour du poisson et du bien-manger. Elle promeut aussi la gastronomie française en concoctant des dîners thématiques dans les ambassades.

« Les ambassadeurs invitent les gouvernements étrangers à découvrir les produits français, surtout les ministres de l’agriculture »

Sorties en mer avec les pêcheurs, découverte de l’aquaculture locale et des élevages marins, tout l'intéresse. Certains usages traditionnels piquent sa curiosité comme la cueillette et la conservation de pousses de roseaux au Canada.

« En France, aucun restaurant n’utilise ces ingrédients, venus des premières nations autochtones » 

Au Pérou, son aventure lui permet de concocter “à quatre mains”, des plats flambés avec un chef péruvien. Puis à Madagascar, dans un village reculé, Sonia découvre un élevage de crevettes bio, dont les retombées commerciales ont permis la création d’un dispensaire et l’arrivée de l’eau potable.

De toutes ces expériences, elle en vient à un constat : En marge de la pêche industrielle, souvent néfaste, se cache un trésor méconnu : la pêche artisanale, une activité à valoriser et à protéger.

Depuis son retour en France, fin août 2024, Sonia a repris son projet “vingt-mille lieues sur les mers”, mais cette fois, c'est au large des côtes hexagonales que cela se passe. Accompagnée d’une assistante, d’un ingénieur du son et de deux cameramen, elle filme les séquences qu’elle espère monnayer sur différentes plateformes. Dans ses reportages séquencés en épisodes, elle met en avant la filière piscicole, depuis le pêcheur jusqu’au poissonnier.

Pêche au poulpe en Bretagne, rencontre de producteurs, visite de fermes d'élevage, master class dans un centre aéré. A Sète, elle participe à la pêche au thon rouge, au ramassage des huîtres et rencontre des chefs étoilés. Elle filme les marchés de la ville.

L’objectif de Sonia est de faire connaître les métiers de la filière poisson : pêcheur, poissonnier, cuisinier et de valoriser leur image. Pour notre ambassadrice, les préjugés sont tenaces et desservent la filière, en manque de jeunes pour reprendre le flambeau. Derrière, il y a la crainte d'une disparition des métiers.

« C’est dur, il fait froid, les pêcheurs râclent les océans, ils sont aigris, parfois même alcooliques, alors que ce sont les personnes les plus agréables que j’aie pu rencontrer dans ma vie professionnelle. Certes, ce sont des métiers durs, mais les gens ne creusent pas la question. Il reste 10.000 poissonniers en France, ce ne sont pas 10.000 fous. Quelque chose les retient dans la journée, sinon ils abandonneraient. Même chose pour les pêcheurs, ils ne risqueraient pas leur vie s’il n’existait pas sur le bateau des moments uniques et inexplicables. C'est pourquoi j’emmène des gens avec moi sur le bateau pour qu’ils ressentent ces sensations si éloignées de notre société consumériste. »

Quant au risque de surpêche, il est selon elle inexistant pour les petits bateaux qui pratiquent une pêche responsable. Mais pour nourrir la population mondiale, il est nécessaire bien sûr d’aller plus loin en mer, sur de plus gros bateaux. Là encore, il suffit de respecter les quotas pour éviter la disparition des espèces.

« Le poisson est la dernière espèce sauvage que l’on mange. Le pêcheur n’est pas responsable de la surpopulation, de la pollution et de la profusion de plastique, il en est une des premières victimes puisque le poisson se raréfie. Il faut de l’élevage, mais de beaux élevages. » Et de faire ce constat un tant soit peu amer...

« Les pêcheurs ne peuvent plus transmettre leur métier à leurs enfants, la tradition s’éteint par méconnaissance de la beauté du métier »

Elle-même se félicite d’avoir embrassé la carrière de poissonnière.

 « Si, sur le papier, le métier peut sembler vieillot et peu attrayant, il a beaucoup changé en réalité. Il permet de voyager, il est bien payé. Bien sûr, il ne faut pas craindre le travail, par moins 10° parfois, les mains dans la glace. On se lève tôt, on rentre tard. Mais il offre l’occasion de rencontres humaines. On éprouve des sensations que l’on ignore quand on travaille devant un ordinateur. Il y a de la place pour les jeunes »

Le souci de la transmission est donc la première motivation de Sonia dans cette aventure presque planétaire. Un travail d'ambassadrice assurément...

 


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