Publié le 10/04/2021
Par Rémy Dreano.
La situation est critique pour les « permittents » du guidage. Les musées, châteaux, édifices touristiques qui avaient rouvert progressivement au début de l’été dernier sont à nouveau reconfinés. Quelle poisse !
Sur les quelques 12.000 guides-conférenciers, une infime minorité est éligible au chômage partiel. Ils sont en revanche éligibles au Fonds de solidarité créé par décret l'année dernière. Éligibles, c'est vite dit, car nombreux sont ceux qui ne touchent plus rien depuis avril dernier.
Diplômés, protégés par la Loi (en théorie), mais précaires...
Les guides-conférenciers se répartissent sur trois statuts : Environ 1/3 de salariés, 1/3 d'indépendants (qui peuvent parfois cumuler les deux), 1/3 mixte, en micro-entreprise, sous le régime de la déclaration ou au réel. Parmi les indépendants, 2% seulement choisissent de créer leur entreprise sous statut type S.A, SASU. Étonnamment, les premiers ont rarement le droit au chômage partiel car ils ont le plus souvent signé un CDD ou CDDU (CDD dit d'usage), à l'image des intermittents du spectacle, sans pour autant bénéficier de la même protection que ces derniers. Le salariat à temps complet est rare. La plupart des guides-conférenciers gagnent moins de 15.000 euros par an et beaucoup sont contraints de se chercher un complément de revenus.
En tout cas, ces professionnels du tourisme et de la culture sont à nouveau reconfinés au moment où démarre sa saison. Le premier confinement fut déjà un coup de massue, au sortir des grèves des transports et des manifestations des gilets jaunes. On a vu des guides-conférenciers manifester en réclamant un statut similaire à celui des intermittents du spectacle. Mais las, étranglés par la crise sanitaire, certains ont du se résoudre à changer de métier. Pour autant, ils sont nombreux à se battre et à se montrer créatif pour ne pas sombrer.
Comme le fait remarquer Elisa Jehanno, guide-conférencière indépendante à Paris, la situation est bien compliquée...
« Beaucoup de mes confrères n’ont eu droit, ni au chômage partiel, ni au Fonds de solidarité. C’est le cas notamment de ceux qui sont en portage salarial ou en contrat de mission et le qui signent souvent la veille, voire à la fin du mois. Par chance, je rentrais dans les bonnes cases et j’ai pu faire ma demande pour en bénéficier. Le premier confinement est tombé au début de la saison. Les vacances de printemps marquent généralement le début de notre saison. L’effet a été brutal. Un groupe de touristes américains venait tout juste de réserver, la première annulation est tombée. Puis, on a vu les annulations arriver au fur et à mesure. On s’est dit, ça va reprendre au moins à l'été, mais très vite on a compris que ce ne serait pas pour cette année ».
Pour Charlotte Fromont, guide-conférencière et Présidente de l'association des Guides Indépendants de Bourgogne Franche-Comté, la crise sanitaire ne fait qu'accentuer des problèmes déjà existants.
"En Province, on cumule tous plusieurs activités. Je suis d'abord guide-conférencière, mais aussi un peu chroniqueuse, formatrice en anglais, histoire et en sociologie de la vigne et du vin. Je sais que certains quittent le métier, j'y réfléchis aussi parfois, même si je ne m'imagine pas faire autre chose. J'ai besoin de ce contact et j'ai toujours cette envie de transmettre. On arrive sur le terrain et on enfile le costume de guide et, à chaque fois, comme l'acteur qui monte sur scène, j'ai le trac..."
L’idée des visites « confinées » proposées par les guides Indépendants de Bourgogne-Franche-Comté montre que la période peut être mise à profit pour renouveler l’action. Ainsi, tourner des vidéos autour de chez soi pour faire découvrir le patrimoine local est une piste intéressante. Il s'agit de maintenir le lien autant que faire se peut et d'éviter de broyer du noir tout en préparant la reprise.
"Il a fallu que l'on trouve d'autres moyens d'exister, inventer de nouveaux moyens de médiation pour répondre à notre public. Notre métier est finalement très méconnu. L'image du guide qui vous mène sur un parcours rigide et qui vous débite un discours prédigéré, c'est ce qui se faisait il y a 30 ans à l'époque du tourisme de masse. Ce stéréotype perdure malheureusement. Or, nous avons depuis longtemps changé notre façon de faire et nous continuons de développer de nouveaux parcours, de nouveaux formats de visites. L'idée de ces visites confinées est de maintenir le lien avec les gens, mais aussi entre nous les guides. Nous réalisons des courtes vidéos traitant de notre patrimoine. Chaque guide-conférencier est invité à réaliser une petit sujet de son choix. Il se filme et moi je poste sur YouTube. J'ai acheté à cet effet un logiciel de montage vidéo" raconte Charlotte.
On peut aussi, comme le fait Elisa Jehanno, proposer des visites virtuelles privées, Après avoir débuté comme salariée d’une agence au sortir de sa licence pro à l'Esthua de Saumur, notre jeune guide-conférencière a opté pour le statut d’indépendant en 2016. Avant l'arrivée de la Covid, sa clientèle était composée de touristes américains (en groupe ou en privé), mais également de familles, d'individuels (français ou européens), ainsi que d'associations et de comités d'entreprise.
« L’idée m'est venue d’un client d'un C.E. Pourriez-vous nous proposer une visite guidée en visio-conférence ? m'a t'il demandé... Les contenus, je les avais déjà en partie. J’ai utilisé des photos personnelles et d'autres, libres de droit. Ce qui m'a pris le plus de temps, c'est la préparation des contenus visuels, sans compter la mise en place technique. Je connaissais déjà les sujets que j'abordais en visite virtuelle, mais il a fallu tout réinventer d'un point de vue pratique, faire des tests, concevoir une nouvelle manière d'aborder les différents sujets..."
Rapidement, elle met en ligne son offre de visites virtuelles sur son site web et décide dans le même temps d'ouvrir un blog pour parler de son métier. Elle effectue ses premières visites virtuelles dès le premier confinement, en avril 2020, pour une clientèle française (familles, groupes d'amis), mais aussi de touristes étrangers, américains notamment, d'universités étrangères et de comités d'entreprise, avec une demande croissante au fil des mois pour ces derniers.
"J'ai reçu pas mal de demandes de C.E depuis la rentrée, mais je crains quand même l'effet de lassitude. Les salariés en télétravail sont saturés de réunions sur Zoom. C'est pourquoi, j'ai hâte que tout reprenne comme avant, car avec les visites en visio-conférence, il y a moins d'échanges, moins d'interactions. Mais c'est quand même mieux que rien" confie-t-elle.
Déjà confrontés à la concurrence croissante des plateformes qui font appel aux guides étrangers qui jonglent avec la réglementation ou aux greeters qui ne sont soumis à aucune réglementation, les revenus des guides-conférenciers ont dangereusement chuté et cela ne s’arrange pas avec la Covid. L’article 109 de la Loi censé préserver la position des guides-conférenciers au sein des monuments historiques et des musées n’a visiblement pas suffi à les mettre à l’abri de la concurrence. L'ubérisation du marché suscite aussi une grande inquiétude chez les professionnels confrontés à des pratiques déloyales venant de faux guides qui travaillent au pourboire et même de guides clandestins qui n’hésitent pas à usurper le titre et qui ne déclarent pas leur activité. L'Italie, qui a une législation similaire à la France, est plus stricte sur le guidage illicite, les contrevenants s'exposant à des amendes. A ce jour, rien n’empêche ces faux guides de revenir en France.
"Il y a déjà beaucoup de concurrence sauvage à Paris, des guides asiatiques notamment. Cela est accentué par le fait qu'il n'y a pas de contrôle ou presque. À Versailles, la carte est contrôlée, mais dans la rue, tout le monde a le droit de guider et de se proclamer guide. Au Royaume-Uni, ils ont la licence Blue Badge. En Italie et Espagne, les guides-conférenciers ont une habilitation à peu près similaire. Certains pays ont une législation stricte, mais ce n'est pas le cas partout. Aux États-Unis et même en Allemagne, les exigences sont moindres" déplore Elisa.
Cette absence de cohérence des systèmes d'habilitation des guides-conférenciers est incontestablement un problème de taille. Mais le secrétariat d'Etat au tourisme et le Ministère la culture se renvoient la balle, tout en déclarant leur attachement à ce métier. Il est aujourd'hui question de créer une carte professionnelle sécurisée par la tenue d’un registre numérique pour éviter les falsifications et d'une énième étude pour mieux connaître la profession.
Pour Charlotte Fromont, c'est une bonne chose mais cela ne répond que partiellement aux attentes.
"Réinventer le métier, sécuriser la profession, ce sont de jolies formules mais on n'a pas attendu le virus du Covid pour réinventer notre métier. Pour préparer une nouvelle visite de 2 heures, il faut au minimum deux semaines de préparation en recherches, repérages, etc.. Mais, plus qu'une carte sécurisée, nous aurions surtout besoin de communicants pour nous aider à promouvoir notre spécificité et la richesse de ce que nous faisons. Nous sommes certes des communicants de terrain mais nous n'avons pas été formés spécifiquement à faire du marketing. Il faudrait nous aider...".
La qualité d’un guide-conférencier s’apprécie à ses connaissances étendues et approfondies dans les domaines de l’art, de l’architecture et de l’histoire. C’est ce qui lui permet d’interpréter le patrimoine culturel, de proposer des clés de lecture et d’analyse des sujets. Pour éviter la banalisation face aux guides autoproclamés, il est essentiel d'être en veille constante, d'approfondir ses connaissances en se documentant et en se formant régulièrement. C'est ce que font les guides-conférenciers qui doivent aussi veiller à renouveler leur offre. Tout cela est chronophage. La notion d'expérience client, chère au professionnels du marketing digital, commence à faire son chemin. Il y a en effet beaucoup à faire pour revaloriser ce métier aux yeux des touristes, des locaux amoureux de l'art et du patrimoine. La génération des millennials reste à conquérir qui n'ose pas et qui se fait une fausse idée des tarifs pratiqués. En tout cas, comme dit Charlotte, c'est moins cher que de se payer une séance de parachute ascensionnel.
"L'été dernier, j'ai eu une demande d'un couple, pas loin de la trentaine. Ils m'ont fait comprendre que ce n'était pas dans leurs habitudes. Habitués à voyager à l'étranger et à solliciter des guides locaux, ils se sont dit, pourquoi ne pas en faire autant en France. La visite s'est très bien passée et ils m'ont dit vouloir plus systématiquement faire appel à des guides-conférenciers à l'avenir. J'en ai eu les larmes aux yeux" confie Charlotte.