Publié le 06/06/2019
Propos recueillis par Rémy Dreano.
Après treize années dans les chiffres, Thomas Pasturel n’en pouvait plus. Comme il l'écrit sur la page de sa campagne de financement participatif "mon cerveau dans sa boîte crânienne ressemblait à un hamster dans sa roue, il tournait sans avancer...".
"J'ai eu mon premier ordinateur à l'âge de dix ans, je passais souvent mes nuits dessus. J'ai vite appris à développer des logiciels..." raconte Thomas Pasturel.
C'est assez naturellement qu'il optera plus tard pour une licence Méthodes Informatiques Appliquées à la Gestion d'Entreprise (MIAGE) à l'Université Paris Dauphine.
"Je n'étais pas issu du même milieu que certains de mes camarades étudiants, mon grand père est ouvrier et mes parents sont des gens modestes. Mes intérêts étaient ailleurs, mais c'est là pourtant que j'ai commencé à m'intéresser à la la finance et aux questions de psychologie du trading et de la prise de décision" raconte-t-il.
Plus enclin à se lancer dans le grand bain qu'à pousser ses études plus loin, Thomas décroche rapidement un job dans un fonds d'investissement algorithmique. Il y restera trois ans.
"Je suis avant tout guidé par les rencontres. Aller chercher des opportunités, c'est ce qui me plait et je n'ai jamais eu à le regretter..."
Désireux de tenter une aventure entrepreneuriale, notre trader décide tout plaquer, direction le Canada, en accord avec sa compagne Diane, architecte de profession, qui souhaitait y vivre depuis l'adolescence...
"En arrivant à Montréal, j'ai rapidement monté ma boite avec un associé, un fonds d'investissement algorithmique.... L'aventure a duré trois ans. J'ai travaillé ensuite dans le consulting pour une FinTech. Depuis que je m'intéresse à la finance, je m'intéresse aussi à la question de l'impact environnemental et humain. Pouvoir diriger les flux financiers vers une économie durable et d'impact, faire sens, c'est ce qui me motive. J'avais même pour ambition de devenir milliardaire pour pouvoir réaliser ce type d'objectifs..." confie-t-il.
Thomas n'hésite pas à investir son argent dans des PME à visée emploi en acceptant que ce soit parfois à fond perdu, tant que la portée du geste génère un impact positif (création d'emploi, aider une personne à réaliser son rêve...) .
Entre-temps, notre couple s'est offert un appartement à Montréal et le statut de résident canadien permanent leur tend les bras.
"On adorait notre vie à Montréal, mais je commençais à tourner en rond. Alors, quand Diane m'a proposé de rentrer en France, ça a été le déclencheur d'une réflexion sur un éventuel changement de vie..." raconte Thomas.
Dès lors se pose la question d'aborder sereinement le retour en France...
"On a de la famille en Normandie, on est revenu pour les voir plus souvent. On a vendu l'appartement.... Ce n'est pas évident de tout quitter, c'est une épreuve psychologique et il faut pouvoir transformer tout cela en opportunité. Avec ma compagne, on a choisi de faire un road trip avant de rentrer au pays..."
Peu après être rentré en France, notre couple rejoint alors un ami rencontré au Canada, un ingénieur dans le traitement des eaux en cours de reconversion comme paysan-boulanger dans le Périgord. Un séjour qui donne l'occasion à Thomas d'étudier ses choix de vie à la campagne, de mieux comprendre les ressorts de sa motivation et son cheminement personnel vers ce projet. Et puis, pétrir la pâte à la main, il l'avait déjà appris de Julie, une amie québécoise (ironique pour un français !).
"J'avais bien quelques idées en tête comme d'ouvrir une épicerie zéro déchet ou un restaurant végétarien autour du pain..." explique Thomas.
Un jour, lors d'une ballade, il demande à sa fiancée : "Ça te dérange si j’arrête tout et que je fais du pain ?
De retour en Normandie, Thomas se met en quête d'une maison traditionnelle avec dépendance pour pouvoir lancer un fournil. Il finit par la trouver au terme d'un marathon de visites et il finalise l'acquisition en novembre 2018, un ancien corps de ferme avec un vieux fournil à proximité qui servait à nourrir des ouvriers agricoles. Il s'établit alors avec sa compagne à Quetteville, une commune rurale de 383 âmes dans le Pays d’Auge, au pays des chevaux et de la pomme à cidre.
Rapidement, notre couple se lance dans un lourd chantier avec l'idée de redonner vie à la vieille bâtisse, de la rénover avec des matériaux écologiques et d'en faire un bâtiment basse consommation, tout en restaurant le four à pain dans la dépendance.
"C'est allé très vite...on ne se voyait pas faire un projet aussi énorme...cela nous coûte tout notre argent, mais c'est une réponse à un besoin primaire, vivre de manière saine et cohérente..." raconte Thomas, qui le voit aussi comme un moyen de se libérer du sentiment d'insécurité financière qu'il éprouve depuis sa jeunesse.
Le nom est choisi et le slogan aussi : ce sera Fournil 1672, la boulangerie engagée !
Le but : faire du pain au blé ancien et au levain et des pizzas à base de produits achetés localement. Parallèlement, Thomas prépare un CAP de boulanger à distance, car c'est une obligation pour pouvoir s'établir en France comme boulanger.
Cela passe aussi par l'acquisition d'un four à bois à l'ancienne, en auto-construction accompagnée. L'objectif est de fournir jusqu'à 200 kilos de pain, brioche et pizza. En attendant, Thomas produit à la levure et au levain sauvage naturel, un pain bio et sain qu'il vend en circuit court.
Un coût de 22.000€, un investissement pour lequel il n'hésite pas à faire jouer le financement participatif, très prisé par la génération des startuppers. Thomas vient d'ailleurs de boucler sa première campagne de financement en ayant atteint 139% de l'objectif initial de 10.000 euros. L'aventure peut commencer...
"On espère pouvoir démarrer le fournil à l'automne. J'avais perdu la notion de rêve et, avec un projet comme celui-ci, je la retrouve et gagner bien moins n'est pas un problème" confie notre ex trader.
En marge, Thomas participe à un projet de nouvelle école des métiers de bouche portée par des restaurateurs (la Source Food School à Nanterre). Il déplore au passage que l'on puisse passer un CAP boulangerie, sans avoir appris le pétrissage à la main. Les idées ne manquent pas et Thomas est toujours guidé par l'esprit des rencontres. Cet été, il va pouvoir utiliser un four à bois (un prêt en attendant de disposer du sien...), ce qui lui permettra de fournir les premiers clients qui ont contribué à la campagne de financement participatif*.
Pour finir, notre néo boulanger accepte de distiller un conseil liminaire à celles et ceux que l'aventure de la reconversion tente...
"Il faut rester optimiste ou le devenir très vite... On peut s'autoriser de rêver un petit peu, mais sans valeurs claires, c'est difficile d'avancer..."
*La plateforme de don est désactivée, mais le site www.fournil1672.com est toujours actif. Les visiteurs qui souhaitent soutenir le projet peuvent contacter Thomas directement (07 61 89 06 57)