Publié le 30/10/2019
Les métiers de la "bonheurisation" en entreprise ont-ils un avenir ?
Par Rémy Dreano.
Dans la grande entreprise et les startups, on se préoccupe beaucoup ces derniers temps de bienveillance et de bonheur au travail.
Les métiers de CHO (Chief Happiness Officer) et de responsable QVT (Qualité de Vie au Travail) ont fait leur apparition.
La génération Y,Z est, parait-il, plus volatile. On veut donc faire son bonheur pour que les compétences internes soient mieux préservées.
Il s’agit aussi d’attirer ou de retenir des talents devenus méfiants à l'égard de l'entreprise. Des talents qui sont de plus en plus tentés de monter leur propre affaire. En tout cas, il y a un vif intérêt pour ces questions en ce moment, le contexte de guerre des talents expliquant sans doute le phénomène.
A cela s'ajoute, le sacro-saint principe de précaution, la peur d’être mis à l’index par les réseaux sociaux pour un taux élevé de salariés en burn-out, ou d'être mal noté par les sites d'avis comme Glassdoor.
On parle aussi beaucoup de Qualité de Vie au Travail (QVT). Sur les sites vitrine des startups de la tech fleurissent les images montrant des collaborateurs, tout sourire, conversant sur un canapé dans l'espace zen ou rassemblés autour du baby-foot dans des espaces de travail qui tiennent plus du loft meublé vintage ou design que de l’open-space, lui-même en voie d’être ringardisé. Personne en s'en plaindra...
Qui ne rêve pas de travailler avec des collègues cool, talentueux et passionnés, de voler d’un entrepôt à l’autre en trottinette, la mèche au vent, et de partager ensuite avec eux une partie de baby-foot à l’heure de l’apéro-insectes et des petits fours ?
Le salarié lui-même est parfois convié à faire le bonheur de ses clients. Exit le préparateur de commandes, le commercial après-vente, le voilà maintenant responsable du bonheur client et même enchanteur client...
2018 a même vu l'apparition d'événements consacrés au sujet comme les Trophées du Bien-être et de la QVT
Alors, ces entreprises qui se proposent de faire le bonheur de leurs salariés et de leurs clients, est-ce tenable ? quelle est la part de démagogie, d'infantilisation ? et quel avenir pour ces métiers de la bonheurisation en entreprise ?
Si personne ne conteste qu'un salarié épanoui au travail est plus efficace, a-t-on besoin pour autant d'un CHO ou d'un responsable QVT pour figurer au palmarès des entreprises où il fait bon travailler ?
Il y a ceux qui, comme Julia de Funès, considèrent cette question du bonheur au travail comme une absurdité. Pour elle, quelque chose ne va pas dans l'entreprise d'aujourd'hui. La tyrannie des procédures et la bureaucratie étoufferaient l'esprit critique. Plus que le gadget cache-misère, c'est plutôt de sens, de confiance et d'autonomie dont il s'agirait, l'entreprise n'ayant pas vocation à devenir un parc d'attraction. D'autres sont enthousiastes et y croient dur comme fer.
Il est vrai que ce marché intéresse au premier chef les coachs, les formateurs en indépendant qui surfent un peu, il faut le dire, sur le désarroi des chefs d'entreprise.
Cette question du bonheur au travail peut certes cacher une crise du management mais quand une entreprise ne fait plus rêver, ce n'est certainement pas en la survendant et en créant un bonheur factice, que ses problèmes disparaissent. Ce n'est pas une raison pour tout mettre sur le dos de l'entreprise. Car, pour qu'un salarié soit heureux au travail et, éventuellement, plus performant, il faut réunir plusieurs conditions :
1/ exercer un métier que l'on a choisi et qui nous correspond et c'est l'affaire du salarié
2/ une bonne entente au travail et c'est l'affaire de tous
3/ une rémunération satisfaisante et c'est l'affaire de l'entreprise (et du marché)
4/ des temps de transports acceptables et c'est l'affaire du salarié (et d'autres que je ne cite pas)
5/ un management bienveillant et c'est l'affaire de l'entreprise
J'ai toujours considéré pour ma part que le bonheur au travail est une affaire de curseur. On peut être heureux au travail avec un curseur juste au dessus de la moyenne et il suffit alors d'un rien pour que l'équilibre soit soudainement rompu. Je me souviens d'un cuisinier prêt à changer de métier au motif qu'il n'était plus heureux dans son travail. Un petit entretien avait suffi à clarifier que le problème venait des tensions récentes avec son boss et que la situation avait peu de chance d'évoluer favorablement. Il a fini par donner sa démission et s'est trouvé un nouveau boss dans un autre restaurant et tout est rentré dans l'ordre...
Certains ont peut-être encore en mémoire les reportages sur les ouvrières du textile du Nord, en larmes au moment de la fermeture de leur usine et qui confiaient au micro du journaliste avoir été heureuses au travail. Et pourtant, tout n'était pas si rose à l'usine...
Un CHO, un responsable QVT auraient-ils pu changer quoi que ce soit à cet équilibre si complexe, si délicat, si intime ? Ils auraient sans doute proposé quelques améliorations, toujours bonnes à prendre et ça n'aurait pas changé la donne économique de l'époque. La bonne ambiance dans le groupe tenait justement à une solidarité très forte, elle-même issue des luttes d'hier.
Il est probable, qu’une fois l’effet de mode dissipé, on passe à autre chose. Et, pour certains, il y a mieux à faire en effet que d'entamer son CPF pour une certification CHO.