Publié le 19/12/2018

Les artisans du bâtiment à l'épreuve de la crise du recrutement

Les artisans du bâtiment à l'épreuve de la crise du recrutement

Par Rémy Dreano.

 

Depuis 2008, près de 200.000 emplois ont été perdus dans le secteur du bâtiment et nombre de petites entreprises artisanales ont du mettre la clé sous la porte. Celles qui ont surmonté la crise sont sorties du tunnel exsangues et fragilisées moralement. Depuis fin 2017, les entreprises du bâtiment ont recommencé à embaucher, non sans mal. En réalité, la forte reprise de l'activité a surpris tout le monde, à commencer par les centres de formation d'apprentis (CFA). On parle de crise des vocations, de pénurie de main d'oeuvre... En tout cas, le sujet est pris très au sérieux par la Fédération Française du Bâtiment et Pôle emploi qui viennent de lancer l'opération 15.000 bâtisseurs sur l'ensemble du territoire.

Ce manque de main d'oeuvre disponible s'explique aisément. Durant la crise, de nombreux ouvriers et techniciens confirmés ont pris leur retraite sans être systématiquement remplacés, et pour cause... Dans le même temps, la baisse des effectifs en apprentissage s'est accélérée, frôlant les 35%, faute de mesures volontaristes pour rendre cette voie plus attractive. Or, les initiatives pour revaloriser la voie de l’apprentissage auprès des jeunes ont connu un retard à l'allumage et on a cédé à la résignation en laissant s'installer un désamour des métiers manuels et techniques. Même si les effectifs ont remonté cette année, les écoles sont loin d'avoir refait le plein de stagiaires. 

Outre que les jeunes qui ont répondu à l'appel sont encore en phase d'apprentissage, on sait, que sur les chantiers, on a surtout besoin d'ouvriers qualifiés et de cadres expérimentés. C'est pourquoi, les artisans se battent aux portes des CFA pour tenter de récupérer les meilleurs éléments. 

En milieu rural, cette difficulté se conjugue à la peur de recruter. Durant la crise, les tensions se sont exacerbées et les contentieux sont montés en flèche. Des contentieux qui finissent souvent devant les Prud'hommes, avec des rendus rarement favorables aux petits patrons.

Il est vrai que nos artisans, qui travaillent souvent plus de 60 heures par semaine, croulent sous la paperasse, devis, factures et déclarations Urssaf s'amoncelant sur leur bureau. Peu familiarisés avec le droit et rarement épaulés, ils sont souvent désarmés pour faire face à un conflit au travail. 

Echaudés par leurs mésaventures, certains sont rétifs à embaucher, ce malgré la réforme des Prud'hommes qui diminue les risques en plafonnant les indemnités.

 

 

A l’incertitude économique et au manque de visibilité s'ajoute la difficulté à trouver les profils ad hoc. Il y a moins de sérénité et c'est pourquoi, nombreux sont ceux qui préfèrent sacrifier les congés ou prendre le risque de mécontenter le client en retardant les mises en chantier.  

 

Manuel, un artisan patron dans l'Yonne, déplore la situation, tout en regrettant l'isolement et le manque de temps pour trouver des soutiens. 

"Je recherche actuellement un menuisier pour un escalier. Comme je ne l’ai pas trouvé et que c’est urgent, je vais donc m’y coller en faisant sauter des jours fériés. J’ai bien sollicité les confrères, mais on est tous au taquet. Nous intervenons sur tous corps de métier et il nous faut des gars sérieux et polyvalents en couverture et maçonnerie et si possible, en électricité ou carrelage, autant dire mission impossible. Du coup, j’ai renoncé à recruter et je suis obligé de demander à mes ouvriers de faire des heures supplémentaires. Malheureusement, l’état d’esprit ici est plutôt au « chacun pour soi », c’est dommage !…" 

Conséquence d'une pratique qui tend à se banaliser en milieu rural, il n'est pas rare de voir des clients patienter douze mois pour une réfection de toiture, un changement de porte et même un changement de système de chauffage. 

Pour Romain Sygroves, conseiller en formation continue à l'Académie de Dijon, il faut accentuer l'effort sur les demandeurs d'emploi adultes et ne pas hésiter à recourir à des formations "sur mesure...

"Une génération d'artisans est sur le point de passer la main et la relève n'est pas toujours assurée... On constate que le sourcing classique ne suffit plus pour trouver des candidats. Il faut aujourd'hui développer les systèmes d'alternance qui prennent en compte les acquis de formation ou d'expérience des candidats tout en aménageant les parcours lorsque c'est possible..." affirme-t-il.

Une solution, selon lui, réside dans un partenariat fort comme avec l'ARIQ BTPsur Auxerre (89).

"Notre mission avec l'ARIQ BTP est justement de répondre au projet du candidat en prenant en compte ses acquis pour lui permettre de développer rapidement les compétences attendues par l’entreprise susceptible de l'accueillir en sortie de parcours. Dans le cadre de ce partenariat, nous assurons la partie formation des contrats de professionnalisation et l'ARIQ BTP fait le lien avec les entreprises..." 



Du "sur mesure" qui semble en effet répondre aux enjeux du moment. Actuellement, il y a de la demande pour des travaux d'isolation de toiture, de remplacement de fenêtres, de changement de système de chauffage et les bons artisans sont souvent overbookés. Un marché qui est aujourd'hui soutenu par l'éco-rénovation et plus généralement par les dispositifs permettant de financer les travaux de rénovation énergétique des logements (éco-prêt à taux zéro, chèque énergie, crédit d'impôt pour la transition énergétique...).

Pour les acteurs de terrain, il faut mettre à profit l'engouement actuel autour de l'éco-construction, se saisir de l'intérêt des jeunes pour les éco-matériaux pour remobiliser plus largement et réconcilier avec les métiers du bâtiment.

N.B : Le GRETA 89 propose actuellement des formations en électricité domotique et en installation sanitaire et thermique. Le GRETA a proposé ces dernières années une formation de Maçon du Patrimoine, tournée vers la rénovation du bâti ancien. 

*L'ARIQ BTP est une association créée en 1989 par les Organisations Professionnelles d’employeurs et de salariés du BTP de Bourgogne