Publié le 04/01/2016
Par Rémy Dreano.
Protéger et préserver la biodiversité de nos océans, de nos contrées rurales et de nos montagnes, c’est bien sûr l’affaire de tous, mais c’est aussi le travail quotidien de passionnés, de bénévoles qui travaillent après d’ONG spécialisées et celui de professionnels de profils divers : naturaliste, soigneur-animalier, ingénieur biologiste marin, ingénieur en biodiversité, vétérinaire, photographe animalier…
Chacun, à son niveau, témoigne ou agit pour préserver et conserver les espèces animales en danger d’extinction.
Les désordres de l’activité humaine mettent aujourd’hui en péril la survie de 16.000 espèces. 700 ont déjà disparu dans un silence plus souvent feutré.
Les médias se font plus souvent l’écho des massacres de phoques, de requins ou, plus récemment, de l’extinction programmée du rhinocéros blanc d’Afrique du Sud… Cette sombre réalité en cache d’autres, moins médiatiques, mais tout aussi vitales pour la biodiversité de la planète.
« Plutôt que de rester dans le constat ou la critique, il vaut mieux se mettre à faire sa part. La baleine bleue est bien sûr un joli symbole. C’est aussi un totem pour éveiller et toucher les consciences, provoquer le respect. Dire que 90% des baleines bleues ont déjà disparu des océans, cela marque les esprits…» explique Jérôme Pensu, soigneur animalier et co-fondateur du Biome, une station d’élevage et de conservation des espèces animales menacées d’extinction.
Le Biome est né de la rencontre de ce bourlingueur autodidacte, spécialiste des oiseaux, ayant commencé sa carrière par un programme de réintroduction de vautours et d’Enrique Petit, soigneur-animalier de métier et aujourd’hui, directeur adjoint de la station.
C’est au Parc Amazonia sur l’Ile-de-Ré que la rencontre s’est faite.
« Après un bac scientifique, j’ai enchaîné sur un Deug de biologie à Brest. Mais je ne me voyais pas passer ma vie dans un bureau, derrière un ordinateur ou des éprouvettes » confie Enrique Petit.
Lors d’un stage, il fait la rencontre d’une scientifique étudiant les grands dauphins.
« C’est ce qui m’a décidé de me réorienter vers le métier de soigneur-animalier. J’ai suivi une formation en alternance, un contrat de professionnalisation pour être précis, avec des cours théoriques à la MFR de Carquefou, la partie pratique se déroulant au Zoo de Pont-Scorff…»
Au total huit mois de formation en alternance…
« J’ai été recruté ensuite comme soigneur au Parc Amazonia de l’Ile-de-Ré. C’est là que j’ai fait la connaissance de Jérôme qui en était à l’époque le directeur. J’ai ensuite travaillé au Pal d’Auvergne que j’ai quitté en 2011 pour rejoindre le Biome »
Et c’est ensemble que ces deux passionnés ont pensé, mûri et dessiné la future station d'élevage.
« Le projet est né de cette rencontre. Il fallait combler un manque en matière de préservation des espèces animales sauvages. Avec Enrique, nous partageons les mêmes sensibilités, le même engagement » reprend Jérôme.
Et le même désintéressement aussi, car il en faut pour un tel projet. Tous deux ont fait le sacrifice de leur emploi pour devenir provisoirement des bénévoles à temps plein au service du futur Biome.
Pour Enrique, c'est un sacrifice nécessaire «On a été obligé de s’oublier pour faire avancer le projet. On reste raisonnable mais priorité nécessaire au Biome…"
Maintenant que la station est devenue réalité, le chantier peut commencer….
« Le plus dur a été de trouver un lieu. Le Biome, c’est 40% de partenariats privés et de gros investissements» explique Jérôme.
Une dose de mécénat de compétences avec des entreprises comme Colas, Armor Green ou encore SCE, une dose d’emprunts bancaires et un zeste financements publics (Région, Communauté d’agglomération…).
Le Biome reposera sur trois grands piliers :
« Notre métier est d’abord de soigner les animaux. Nous avons fait un choix d’espèces dont les économies des États ne permettent pas d’assurer la conservation. Certes, nous avons aussi chez nous une faune indigène à protéger, des vautours, des lynxs par exemple... La chance de la France, c’est d’avoir des associations et des moyens que d’autres pays n’ont pas. C’est pourquoi, nous nous mettons au service d’espèces à protéger comme le Paon vert de Thaïlande, (Pavo muticus imperator) vulnérable à cause de la déforestation et parce qu’il est consommé par la population. »
Des spécimens (taxons) qui seront acheminés jusqu’à la station pour être élevés selon des protocoles très stricts, dans le respect des mécanismes naturels dans la constitution des couples, par exemple.
« l’objectif est de préserver les comportements naturels. A la différence des zoos, les espèces animales n’ont pas vocation à être systématiquement montrées au grand public. En revanche, il pourra bénéficier en retour des connaissances acquises et des travaux du comité scientifique au travers des expositions, des conférences… précise Enrique.
Sous leur houlette, de nouveaux spécialistes dans le domaine de la conservation animale se sont en effet associés au projet : un ingénieur spécialiste des plantes médicinales, un spécialiste de la sauvegarde des lynxs, un ingénieur CNRS en éthologie, physiologie, une vétérinaire spécialiste de la faune sauvage,…
« Notre mot d’ordre, c’est la mutualisation. Il ne faut pas hésiter à aller voir ceux qui agissent seuls dans leur coin et à s’entourer d’autres compétences. La condition pour travailler ici, c’est de mettre son égo dans sa poche et d’apporter sa pierre à l’édifice, dans l'intérêt général » prévient Jérôme.
La question de la formation est centrale dans le projet du Biome. L’ambition est de former un nouveau type de professionnel de la préservation de la faune sauvage, de vrais spécialistes. Comme il n’existe pas de formation de soigneur-éleveur animalier de la faune sauvage, il reste à la créer.
« Nous souhaitons mettre sur pied une formation diplômante, un cursus de trois ans sur les trois thématiques qui nous concernent : l'élevage conservatoire, les soins à la faune sauvage et la présentation d'animaux au public. Pour cela, nous recherchons des partenaires, l’éducation nationale notamment et, bien sûr, des financeurs. Trois ans, c’est le minimum pour apprendre à gérer un établissement de soins, maîtriser les techniques spécifiques d’élevage, la communication au public, sans compter la biologie des espèces, la pédagogie, la sécurité, les questions sanitaires, les techniques de démazoutage, la capture et la contention… ».
Enrique et Jérôme veulent prendre le temps de peaufiner leur projet et la question des débouchés est pour eux essentielle. Pour l’heure, les futurs professionnels devraient trouver un débouché naturel auprès des éleveurs privés (oiseaux exotiques…), des centres de soins aux animaux sauvages, des parcs zoologiques ou encore des élevages conservatoires…
Mais les deux compères voient aussi plus loin « Les carrières sont aussi internationales. Si nous travaillons à une prise de conscience, aussi bien de la population autochtone qu’au niveau des États et des décideurs, il y a un travail de formation et d’accompagnement à faire sur le local. Réintroduire de nouvelles espèces dans leur milieu d’origine, c’est bien… mais s’il n’y a personne derrière et pas de compétences pour veiller à la préservation de l’espèce, il faudra recommencer encore et encore» souligne Jérôme.
Pour l’heure, les hommes du Biome ont du pain sur la planche et leur enthousiasme est encore aussi débordant que contagieux…
« L’aventure de ma vie, c’est le Biome » lâche Jérôme, avant de s’éclipser pour se remettre au travail.