Publié le 05/09/2017
Interview réalisée par Rémy Dreano.
Peu de personnes ont si précocement la vocation chevillée au corps. Mais, pour Emmanuelle Richard, le projet de devenir professeur de danse s’est imposé très tôt, dès la prime enfance.
« J’ai toujours eu la danse à fond, vraiment à fond… A l’âge de trois ans, j’ai demandé à mes parents à faire une activité. Ils ont choisi la danse et à chaque rentrée, ils me demandaient si je voulais continuer. En fait, j’ai accroché tout de suite et j’en ai toujours redemandé. Je me souviens que l’institutrice nous avait demandé d’illustrer notre futur métier dans un dessin. Je me revois me dessiner en professeur de danse. »
Emmanuelle, qui vit alors du côté de Saint-Etienne, suit assidûment les cours de danse à l’école de Feurs. Cinq années plus tard, elle a bien progressé. Son professeur insiste alors auprès de ses parents pour qu’elle rentre au conservatoire pour préparer le concours de l’Opéra. Ils ne donneront pas suite, estimant qu’il est plus sage pour leur fille de poursuivre les études, au moins jusqu’au Bac.
« Il aurait fallu de toute façon quitter le cocon familial pour le pensionnat, faire une croix sur les jeux et les sorties. Je n’en avais pas vraiment envie… Je n’ai pas de regret car j’ai compris plus tard que l’Opéra est un monde de sacrifices et de privations...».
Emmanuelle persévère néanmoins dans la danse, n’hésitant à multiplier les auditions, les concours et les stages d’été « pour se perfectionner et se comparer aux autres » comme elle dit …
En 1996, c’est fort logiquement qu’elle quitte Feurs pour Grenoble pour intégrer l’IDAI, une école* qui forme en trois ans au diplôme d’Etat de professeur de danse (*’l’école n’existe plus).
Emmanuelle a alors 18 ans.
« le D.E est un passage obligé si l’on veut enseigner la danse. J’avais choisi la danse jazz… »
Sitôt son diplôme d’Etat de professeur de danse en poche, là voilà lancée dans le grand bain.
« J’ai été contactée dès le lendemain par une école associative de danse (14 heures d'enseignement par semaine). Une surprise car je m’attendais plutôt à galérer pour décrocher un emploi...
Deux semaines plus tard, elle est contactée par le Conservatoire du Puy-en-Velay qui lui propose six d'heures d'enseignement, soit plus qu’elle n’espérait, un volume de travail qu’elle cherche encore à étoffer.
« Assez vite, je me suis retrouvée à travailler pour différentes écoles de danse, sur différents départements aussi (42, 43, 69). On travaille en multi-employeurs avec des activités et des implications différentes, une formation accélérée à la vie active en quelque sorte…» observe-t-elle.
Si Emmanuelle parvient à cumuler jusqu’à 30 heures de cours par semaine, ce qu’elle présente volontiers comme un temps plein ½ pour un métier aussi exigeant que le sien, il faut aussi composer avec les nombreux déplacements (500 kilomètres par semaine) et les spectacles de fin d’année à préparer.
Trois ans plus tard, le conservatoire du Puy-en-Velay lui propose un poste à plein temps, qu’elle refuse.
« En refusant le poste, je perdais aussi les heures qui m’avaient été données. Du coup, j’ai démissionné de tout et j’ai pris mon sac à dos pour monter sur Paris» confie-t-elle.
« J’ai pourtant adoré cette période, mais ce n’est pas comme ce qu’on en dit à l’école. J’enseignais la danse jazz et classique, bref tout ce à quoi j’avais aspiré…»
Trois années intenses à courir les routes ont sans doute entamé ses réserves …
« Dans mon idée, ce départ à Paris était l’occasion d’une césure. En fait d’année sabbatique, j’ai passé des auditions et j’ai été prise à la revue du théâtre du Casino de Deauville, dirigée alors par la chorégraphe du Paradis Latin »
Un job de danseuse où l’on travaille des tableaux avec une thématique pour chacun et où plumes, strass et paillettes font partie du décor.
« On est embauché à date, avec un statut d’intermittent du spectacle. Chaque semaine, on resigne pour prolonger le bail. En réalité, on joue son prochain contrat tous les soirs. Il faut être au top tout le temps, soigner son apparence et garder le sourire en toute circonstance, car dans ce métier, on est payé pour vendre du rêve. Le reste de la semaine, on prend des cours et on repasse des auditions. C’est là aussi que l’on prend un peu plus conscience de la précarité du métier »
Emmanuelle le dit sans détour « Passer des auditions, ce n’est pas très marrant. On est soumis au regard d’autrui, au jugement de valeur sur le physique et c’est parfois subjectif, violent même. Le producteur a toujours le dernier mot et il peut vous écarter d’un geste, sans même avoir assisté à l’audition. C’est pourquoi, il faut occuper sans cesse le terrain, se montrer, rencontrer des gens, boire des cafés, c’est ainsi que l’on gère son réseau, comme sur LinkedIn donc…» explique-t-elle.
Pendant des années, Emmanuelle enchaîne les contrats, tantôt pour quatre ou cinq mois, plus souvent des contrats à date (opérette, revue…) à Paris, Nice, Strasbourg ou Milan, sans oublier les petites salles de province. Une multitude de contrats courts qui font de notre danseuse une itinérante de choc.
« Quand on accepte un contrat, il faut être sûr d’être disponible, non seulement pour le jour de la représentation, mais aussi pour les heures de répétition que l’on va vous demander et qui sont, la plupart du temps, non payées. On passe son temps à triturer son agenda…. »
Un métier qui vous confronte en permanence à la concurrence.
Son professeur lui avait pourtant lancé cette mise en garde avant l'entrée à l'École de Grenoble : « A partir de maintenant, tu n’as plus d’amis ! ...
« Je n’ai pas tout de suite compris ce qu’elle voulait dire, j’ai compris plus tard…» confie Emmanuelle…
Pour échapper à cet univers de compétition féroce, elle décide de se trouver une « bulle de respiration »... Et comme souvent, ce sont les rencontres qui ouvrent les nouvelles portes…
Pour Emmanuelle, ce fut la rencontre avec un équilibriste de cirque…
« Il m’avait repéré lors d’un contrat. Il me lance alors « toi, tu as de la chance, tu n’as pas besoin de t’échauffer, tu t’es trompée de carrière, tu aurais du faire de la contorsion ! »
C’était ignorer la réalité du métier de danseuse, mais pour le coup, l’homme avait piqué sa curiosité.
Nous sommes en 2008 et Emmanuelle s’est inscrite dans un cours de contorsion. Au bout d’un an, et au vu des progrès réalisés, elle se dit pourquoi pas ?
« Je me suis offerte un site internet. Grâce à cette petite ligne sur mon CV, j’ai été repérée par l’Opéra comique, deux très beaux contrats avec Jérôme Savary. Je suis passée d’un seul coup dans une autre sphère d’exigence, proche de l’Opéra » raconte-t-elle.
Pour Emmanuelle, c’est aussi le début d’une période faste qui la voit enchaîner les beaux cachets (théâtre musical du Châtelet, Opéra de Lausanne, de Liège, de Hong Kong…).
« On change de statut. Outre le fait que la précarité est moindre, Il y a ce sentiment d’être reconnu et valorisé. On se retrouve avec une vie plus réglée, plus saine. Le soir, on est chez soi et pas sur la route, en pleine nuit, à redouter que le chauffeur ne s’endorme au volant…
Emmanuelle a déjà commencé à régler sa mire et sa pugnacité est encore récompensée.
« En 2009, j’ai été embauchée comme contorsionniste au Cabaret des Secrets d’Epernay. Jusque là, j’avais trouvé une forme de stabilité en travaillant l’été sur les bateaux de croisière et l’hiver à l’Opéra comique.
Un contrat qui venait à point pour conforter cette quête de stabilité. N’étant plus contrainte de courir les auditions, Emmanuelle n’a plus de raison de subir les loyers dissuasifs de la capitale. Elle prospecte alors dans un rayon de 200 kilomètres pour rester à portée de Paris et d’Epernay. Elle posera finalement ses valises dans un petit village à vingt kilomètres au sud d’Auxerre.
« J’ai acheté une maison, refait la toiture et aménagé une pièce pour les répétitions. C’est là qu’on se rend compte que l’on n’a plus envie de repartir en itinérance. Avec le recul, je me dis que j’aurais du investir plus tôt dans l’immobilier. Ce métier de danseuse est précaire et on n’est jamais trop prudent. En tout cas, c’est le premier conseil que je pourrais donner...»
Ce point d’équilibre auquel aspire tout artiste qui a connu les galères et la vie d’itinérant du spectacle, Emmanuelle semble l’avoir trouvé. Forte de son réseau, elle peut désormais se contenter de gérer son image sur Instagram.
« Aujourd’hui, je peux me permettre de ne choisir que les contrats intéressants et lucratifs, dans l’événementiel notamment. Pour le reste, je me partage entre le Cabaret des Secrets ou j’officie maintenant comme danseuse et chorégraphe et la saison sur les bateaux de croisière comme assistante chorégraphe-répétitrice »
A l’approche de la quarantaine, Emmanuelle a bien conscience qu’elle ne pourra pas martyriser son corps éternellement.
« Entre deux chemins, j’ai toujours pris le plus tortueux. Heureusement, jusqu’ici, j’ai toujours eu beaucoup de chance…. »
Pour voir plus loin, Emmanuelle a quand même pris la précaution d’entreprendre un bilan de compétences.
Perruquière de spectacle, voilà un projet qu’elle pourrait bien envisager pour plus tard, lorsque sonnera l’heure de la reconversion…
Emmanuelle richard
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