Publié le 12/11/2025
Propos recueillis par Françoise Boyer
Dessinateur judiciaire, un de ces métiers très rares où l'on se compte parfois sur les doigts d'une main (ou les deux). L’Association de la presse judiciaire compte parmi ses membres titulaires huit dessinateurs ou aquarellistes appelés à croquer les protagonistes de procès d'assises médiatiques. Le dijonnais Siegfried Mahé, alias Zziigg, en fait partie.
Travaillant depuis 15 ans pour la presse locale ou nationale, il a couvert notamment avec ses dessins les procès de Gérard Depardieu, Joël Le Scouarnec ou encore l’affaire Pelicot.
Aucune école spécifique ne prépare au dessin d'audience, une activité qui intrigue autant qu'elle questionne et qui peut s'apparenter au dessin de presse en direct. Ce sont plus souvent des concours de circonstance, des rencontres fortuites qui conduisent à se retrouver un jour sur les bancs d’une salle d’assise, là où photos et enregistrements sont strictement interdits et où le dessin prend alors toute sa place. La presse, elle, a besoin des dessinateurs judiciaires pour agrémenter ses articles et donner à voir à ses lecteurs.
Mais est-ce vraiment un métier ? c’est la question que se pose encore Zziigg aujourd’hui.
Quel parcours vous a conduit à ce métier de dessinateur judiciaire ?
J’ai d’abord fait les Beaux-Arts de Besançon dans les années 90. J’ai ensuite travaillé comme photographe de mode, graphiste, illustrateur. Mon parcours est un peu chaotique. Je suis arrivé par hasard dans une salle d’audience grâce à un ami journaliste au quotidien régional Le Bien Public. C'est lui qui m’a mis le pied à l’étrier. La première fois, c’était très impressionnant. J’ai trouvé là un vrai sens à mes dessins : être celui qui peut apporter des images que les autres ne peuvent pas avoir. Le dessin a ici une vraie fonction et, avec le temps, j’y ai mis mon émotion. Je suis le maître à bord dans le choix de mes dessins. Nous sommes peu nombreux à pratiquer cette activité que j’aurais du mal à qualifier de métier.
D’autres amis sont arrivés là par le journalisme, en illustrant leurs propres articles, grâce à leur talent. L’un d’entre-eux n’a plus fait que des dessins par la suite. D’autres sont issus du monde de l’illustration et ont été sollicités par des journaux grâce à leur sens aigu de l’observation pour couvrir un procès. Charlie Hebdo avait ainsi sollicité trois dessinateurs issus de la bande dessinée pour couvrir le procès dit V13, du Bataclan.
Pourquoi hésitez-vous à considérer cette activité comme un métier ?
C’est une activité assez précaire qui ne peut en aucun cas s’apparenter à une activité professionnelle pleine et complète (à de très rares exceptions). Il s'agit plus d'une pratique du dessin dans un contexte particulier que d'un métier. Nous sommes très peu nombreux à l’exercer. Le contexte de la cour d’assise est avant tout une opportunité de dessiner. Les revenus sont très irréguliers si l'on ne fait que du dessin d’audience. C'est pourquoi il faut adosser cette pratique à d’autres sources de revenus.
Quelles sont les qualités primordiales d’un dessinateur judiciaire ?
Le dessin judiciaire est d’abord un dessin d’observation, de la même manière que les Urban sktechers dessinent dans la rue, nous dessinons, nous, dans une cour d’assise. Il faut savoir croquer un visage, sa morphologie et ses expressions, maîtriser le rendu des proportions et des postures d’un corps. Il faut aussi résister aux charges émotionnelles, on n’y est pas préparé. On développe cette capacité sur le terrain. Je ne fais que les procès d’assise, donc les crimes.
Quelles sont les obligations et les codes auxquels vous avez du vous plier ?
Tout est un peu tacite. La Présidente du tribunal exige la plus grande discrétion du dessinateur pour ne pas perturber l’audience. On se doit d'impressionner le moins possible les acteurs du procès. Les personnes qui témoignent à la barre ne doivent en aucun cas subir une pression supplémentaire. La transparence est essentielle. Il m’arrive d'entrer en relation avec les personnes que je vais dessiner quand je le juge nécessaire. Je me présente alors à eux avant l’audience pour réduire la tension. Je les préviens que je vais les dessiner certes, mais que je dessinerai aussi d’autres personnes, pour qu’ils ne sentent aucune focalisation sur leur personne. Il s'agit de mettre en confiance et de rassurer.
Existe-t-il des interdits ?
Nous échappons avec le dessin au droit à l’image. Le dessin ne se plie pas aux règles de captation d’image ou de son, interdits dans les tribunaux. Si le journaliste m’indique qu’il va taire le nom de l’accusé ou de la victime pour ne pas nuire à son entourage par exemple, dans ce cas, je dessine la personne de dos ou je m’arrange pour qu’elle ne soit pas identifiable. Par éthique, je ne dessine pas les mineurs, ni les victimes, sauf accord tacite. Par exemple, Gisèle Pelicot, qui avait tenu à rendre son procès public, acceptait de s’exposer.
Quelles sont les contraintes auxquelles vous devez faire face ?
Je n’ai aucun contact avec le Ministère de la Justice. Mes accréditations sont délivrées par les secrétariats des différentes magistratures suivant l’endroit où se situe le procès. Le Ministère appose son tampon, c’est tout. J’ai une carte de presse judiciaire. Je fais partie d’une association validée par le Ministère qui regroupe les journalistes judiciaires. Je suis sous l’autorité du ou de la Présidente d’audience. Parfois, les tribunaux refusent de délivrer une accréditation s’ils ne vous connaissent pas. Il faut alors redoubler d’arguments pour montrer son professionnalisme. Parfois, on ne se trouve pas au bon endroit pour dessiner. Durant les premières audiences du procès Jubilar, on n’avait pas le droit d’être dans le carré et on ne voyait les gens que de dos. Du coup, les dessins sont moins percutants, c’est une vraie difficulté.
Quel est votre mode de rémunération ?
C’est une activité irrégulière. Je ne couvre pas tous les procès, d’abord parce que certains n’intéressent pas les médias. Il faut trouver les procès pour lesquels les médias sont susceptibles d’acheter des droits d’utilisation des images. A la fin de chaque procès, je scanne mes dessins et j’adresse un fichier numérique aux rédactions concernées. Il m’arrive d’être missionné par des journaux. J’ai travaillé régulièrement pour le Parisien, le Monde par exemple. J’ai intégré des agences d’images comme Reuters et une jeune agence qui monte, Hans Lukas. J’ai une certaine autonomie et je peux déposer mon dessin sur le serveur de l’agence. Les
médias intéressés l’achètent à l’agence qui me rétribue sur la base d'une quote-part. Je peux aussi vendre une image à un média, au besoin avec un contrat d’exclusivité. Le droit est dans ce cas plus rémunérateur. En revanche, si je la vends à une agence, je n’ai plus la main sur la suite. Entre médias et dessinateurs, les règles sont souples, il est question de négociations de gré à gré. Plusieurs paramètres entrent en ligne de compte et avant tout la résonance du procès, de portée internationale (cf Kim Kardashian, viols de Mazan), ou nationale ou, simplement, locale.
Quel est votre modèle économique ?
J’ai un statut de travailleur indépendant, artiste illustrateur. Je gère une entreprise individuelle, j’établis des factures. C’est une profession libérale, à l'image de l'architecte ou du graphiste. On vend nos dessins à des médias, ainsi que le droit d’utilisation des images selon les opportunités, sur place ou grâce à un réseau de journalistes.
On peut transformer la prestation en pige journalistique sous forme de salaire journalier. Les télévisions régionales font souvent de la pige salariée. Dans ce cas, la prestation ne se fait pas suivant le dessin, mais suivant la journée de travail et les rédactions peuvent ensuite utiliser tous les dessins produits dans ce laps de temps. Avec le jeu des rediffusions, il arrive que chaque nouvelle diffusion de mon image donne lieu à rémunération. Il m'arrive de vendre les droits au média sur une certaine période.
Il faut aussi prendre en compte les frais d’hébergement, de déplacements et de restauration qui ne sont pas toujours pris en charge. Ils peuvent être inclus dans ma prestation. Dans ce cas, je majore le prix des dessins. Ensuite, il me faut espérer que la vente des dessins couvrira ces frais. Un mois pour le procès Jubilar à Albi, par exemple.
Vous avez donc une autre activité professionnelle pour échapper à la précarité dont vous parlez ?
Oui, je suis graphiste, je réalise des catalogues, des logos pour des entreprises, toujours sous le statut de société individuelle. En 2024, le dessin d’audience a représenté 70% de mon activité, une année exceptionnelle. Cette année, ce sera 50%, peut-être... Ne faire que des dessins d’audience vous précarise. Seul un dessinateur attaché à une grande agence, comme Benoît PERUCQ avec l'AFP par exemple, a - peut-être - la possibilité d'en vivre, car l’AFP couvre beaucoup d’événements.
Je ne veux décourager personne. Je reste très enthousiaste. Dessinateur judiciaire, c’est une activité passionnante, mais on ne peut pas vivre uniquement du dessin judiciaire. On est riche d’expérience humaine, mais pour avoir un niveau de vie correct, il faut diversifier les activités...
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