Publié le 17/08/2022

(1) L'agriculture à la croisée des chemins : l'agroforesterie, une solution qui attend son heure

(1) L'agriculture à la croisée des chemins : l'agroforesterie, une solution qui attend son heure

Propos recueillis par Rémy Dreano.

 

L'été 2022 est marqué par une sécheresse exceptionnelle. Elisabeth Borne, elle-même, a évoqué une situation historique. Des rivières sont à sec, certains puits ne produisent plus, la nature est en grande souffrance.

Dans les exploitations fruitières et légumières, les chaleurs torrides engendrent un stress hydrique qui inhibe le processus de maturation des fruits et légumes (repos végétatif). Les pommes n'ont pas le calibre habituel, les raisins sont brûlés et les tomates ne mûrissent plus. Les grandes cultures de printemps (soja, orge, maïs...) sont en péril. Parmi les solutions préconisées par les agriculteurs figure celle de créer de nouvelles réserves d'eau pour anticiper les épisodes de sécheresse de plus en plus rapprochés. Mais ce n'est pas qu'une question d'eau. Arroser en excès les plants en période de canicule n'est pas la solution... 

"Voyez, ici à l'ombre il fait frais, la température n'est que de 26°, mais si vous vous placez deux mètres plus loin sous le soleil, vous avez l'impression de cuire littéralement. C'est comme ça depuis dix ans, une conséquence de l'activité solaire, de l'inclinaison de la terre et sans doute de la conjugaison d'autres phénomènes. Nos anciens ont connu des épisodes similaires qui les ont conduit à abandonner leurs parcelles et à renoncer à leur métier. D'autres sont arrivés plus tard qui les ont défrichées et remis en culture. Avant, on trouvait des solutions à tout, mais là, on n'est plus sûr de rien..." raconte Jean-Marie Fromonot, agriculteur retraité de la SAS Ferme de la Loge, située à Vermenton dans l'Yonne. 

L'installation d'arbres dans les cultures en bordure ou en plein champ comme solution pour réduire le ruissellement, l’érosion des sols et améliorer la vie des sols, c'est l'agroforesterie, une pratique ancestrale. Dans le contexte actuel de réchauffement climatique, on commence à en redécouvrir les vertus, comme celle de rafraîchir les sols en été.

Bien que sceptique sur l'avenir de l'agriculture dans le contexte actuel de politique agricole commune (PAC) et de réchauffement climatique, Jean-Marie s'est lancé avec ses proches dans un chantier impressionnant. 

"Nous avons déjà planté près de 1200 arbres, des alisiers, des chênes, des poiriers, des noyers, des tilleuls et nous envisageons d'en planter 600 de plus. Nous ne sommes pas certains du résultat futur. La seule chose que nos savons, c'est que nous perdons 10% de surface de production mais nous avons fait le choix de nous tourner vers l'avenir..." 

 

Ils ne sont pas si nombreux à investir dans cette démarche. Pourtant, l'agroforesterie entre dans le champ du développement durable, largement soutenu dans bien d'autres domaines comme l'éolien, le solaire photovoltaïque. Mais, force est de constater que si cette pratique commence à entrer un peu plus dans les esprits, elle n'est pas encore entrée dans les mœurs. Malgré l'intérêt croissant pour cette technique agricole qui s’inscrit dans la transition agroécologique, l'Association française Agroforesterie et l'École française d'agroforesterie (EFA) pèsent encore assez peu à l'échelle des territoires. Le programme « plantons des haies » qui vise à soutenir techniquement et financièrement la mise en place des systèmes agroforestiers est certes intéressant mais il ne répond que partiellement aux enjeux de l'agriculture de demain. 

Jean-Marie Fromonot déplore que ces systèmes de culture soient les grands oubliés des politiques publiques.

"Le coût de la plantation est pris en charge par la région et le département et je ne peux que les remercier pour leur engagement. En revanche, le coût réel d'un tel projet pour qu'il réussisse est bien supérieur, ne serait-ce que pour prendre en compte les coûts de main-d'oeuvre pour les entretiens, l'arrosage et la protection contre le gibier qui s'attaque aux jeunes pousses. J'étais persuadé qu'avec la nouvelle PAC 2023-2027, il y aurait des aides spécifiques pour les parcelles en agroforesterie ou bordures de haies, surtout celles qui sont en bio où les entretiens sont tous manuels.." 

Bien qu'à la retraite, et conscient des enjeux, Jean-Marie Fromonot cherche à mobiliser. A cet effet, il va organiser prochainement une réunion de crise avec les acteurs locaux, exploitants céréaliers et la coopérative Cocebi biobourgogne

"Concernant le bio, nous sommes très inquiets. Il faut nous aider. Les régions doivent s'impliquer plus qu'elles ne le font. Il faudrait impérativement, et sans attendre, mettre en place un plan de survie pour nos exploitations en bio, sinon toutes ces terres vont retourner au conventionnel".

Et Jean-Marie de pointer le spectre d'une agriculture sans campagne, sans agriculteur où des robots contrôlés à distance déversent phytos et engrais sur des parcelles gavées de capteurs, un modèle radical qui ne fait pas rêver nos agriculteurs. 

"On investit pour le futur de nos enfants. Il est possible que dans un futur proche, il n'y ait plus ici que des terrains arides et impropres à la culture. Ces hectares de culture en agroforesterie seront peut-être les seuls en mesure de produire demain. Depuis 14 ans, avec ma fille, j'ai préparé l'exploitation à une mutation que je savais inéluctable, avec d'abord une conversion à l'agriculture biologique, puis à l'agroforesterie biologique et la plantation de haies. Notre famille est à la ferme de la Loge depuis plus de 100 ans et mon souhait est qu'il soit encore possible de transmettre aux générations futures et notamment à ma petite fille Agathe, passionnée d'agriculture bio"

Agathe, c'est la relève rêvée pour tout agriculteur céréalier. Incarnant la 5ème génération, Agathe vient tout juste de reprendre les rênes de l'exploitation au sortir de son BTSA passé au Lycée agricole d'Auxerre la Brosse.

Pour Jean-Marie, notre agriculture est à la croisée des chemins. Avec le réchauffement climatique, on observe déjà une baisse des rendements sur les cultures d'hiver et certaines cultures de printemps (soja, avoine, lin graine, sarrasin, lentilles, pois), touchées par des coups de chaleur à répétition, sont menacées à terme de disparition si rien n'est fait. De plus, l'assurance récolte, basée sur les rendements de référence, ne garantit plus aux agriculteurs bio de préserver leur outil de travail, les rendements baissant d'année en année.

 

"Nos dirigeants politiques nous abandonnent alors qu'il est question partout d'enjeux climatiques et de souveraineté alimentaire. Le bio aurait pu être la solution, pas seulement comme alternative au conventionnel, mais aussi comme mode de production respectueux des sols, de la biodiversité et de l'environnement en général."

 

Voir ci-dessous la position de Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, interrogé le 2 septembre sur France Inter sur la question de l'agroforesterie et de la gestion de l'eau…

 

[embed width="600"]https://www.youtube.com/watch?v=dATMLq61UMw&t=228s[/embed]

Il est bon de rappeler qu'aucune civilisation ne peut survivre à la mort des sols…

Plus de développements sur l'agriculture, grandes cultures, viticulture, forêts bois à trouver sur la version en ligne du Guide des ressources emploi. 

https://www.guidedesressourcesemploi.fr