Publié le 31/03/2014

Vinyle is not dead... Quel impact sur le métier de disquaire ?

Vinyle is not dead... Quel impact sur le métier de disquaire ?

Propos recueillis par Rémy Dreano.

 

Le métier de disquaire connait un regain d’intérêt qui n’est sans doute pas étranger à celui des bonnes vieilles galettes vinyles qui séduisent de jeunes aficionados en quête d’un certain son.

Le phénomène est bien réel, mais de là à imaginer, comme certains le claironnent, qu’il vienne sauver le métier de disquaire, il y a loin en effet.

En tout cas, pour Arnaud, disquaire et patron de l’enseigne Paris Jazz Corner, il n’est pas question de verser dans l’optimisme béat.

« Depuis que je suis dans la profession, j’en ai vu passer des modes… Cet engouement pour le vinyle est effectivement une bonne chose, mais cela ne suffit pas à faire tourner une affaire. Il faut se souvenir qu’à la fin des années 80, il y avait près de 10.000 disquaires en France et qu’aujourd’hui, on peut se compter autour de 200. Je ne voudrais pas que votre article fasse naître de faux espoirs » prévient Arnaud.

« Dans notre métier, si le client se déplace jusqu’à la boutique, c’est avant tout pour découvrir des artistes et être parfaitement conseillé, autant sur la qualité d’une œuvre musicale que sur sa gravure, son enregistrement...et nos clients sont justement des gens curieux et exigeants »

Une expertise métier qui n’est donnée par aucune école, mais qui se forge sur le tas, au fil des années, à force de constance et d’intérêt renouvelé pour un genre musical, (aussi riche que le jazz peut l’être en l'occurrence…).

Le disquaire de quartier est fort logiquement un spécialiste d’un genre musical ; jazz, pop ou musique classique, peu importe….compétent, il se doit de l’être, avec un magasin bien achalandé s’entend….

Une approche spécifique du métier qui paraît avoir échappé à la sagacité des patrons de grandes enseignées comme Fnac ou Virgin, qui ont fini par perdre de vue les bases mêmes du métier de disquaire et pour finir…leur clientèle.

Après avoir laminé les petits disquaires de quartier, ils sont à leur tour pris dans la tourmente, victimes des nouveaux usages de consommation, autant du MP3 que de la non spécialisation, ceci allant de pair avec des bacs de plus en plus clairsemés et une offre de conseil laissant à désirer.

Un retour de bâton qui fait bien sûr l’affaire des petits disquaires spécialisés qui, loin de se vivre en dernier des Mohicans, ont résisté pied à pied en parvenant à s’attacher une clientèle.

« Un disquaire doit faire sa place, trouver un créneau spécialisé et faire un truc qui le met le plus possible à l’abri de la concurrence. C’est un métier où l’on ne devient pas millionnaire, mais on en vit. On le fait avant tout parce qu’il plait vraiment, c’est le point de départ de tout projet d’entreprise » explique Arnaud.

Et de préciser « Quand je me suis lancé, je ne connaissais pas grand chose de ce métier. Avant, je travaillais dans une librairie et je faisais du courtage de livres pour arrondir les fins de mois ».

Un job d’appoint qui lui a aussi permis de faire de bonnes rencontres….C’est le père de Francis Lemarque qui lui a mis le pied à l’étrier, en lui suggérant de prendre une échoppe de bouquiniste sur les Quais de Seine.

« J’ai débuté comme bouquiniste de jazz, Quai de la Tournelle, tout près de la Tour d’argent. 20 ans d'âge, sans aucun stock à disposition, j’ai commencé par me séparer des disques de jazz que j’avais chez moi, persuadé qu’un jour, je les retrouverais à la puissance dix ».

 Une hérésie pour un collectionneur, mais pour notre disquaire, une philosophie toute personnelle qui lui fait dire  « ma plus belle collection est contenue dans ma boutique et tant que je ne l’ai pas vendue, elle est à moi…et cela me va bien »

 Effectivement, huit ans plus tard, l’affaire s’était développée jusqu’à manquer d’espace, d’où l’ouverture de cette boutique au 5 de la rue de Navarre, face aux Arènes de Lutèce (suivi plus tard d'une autre dans le 10ème arrondissement).

Pour notre disquaire, il n’y a pas lieu de s’alarmer pour l’avenir, car il y a en France une vraie culture jazz, des émissions radio de qualité et des festivals de renommée mondiale. Notre homme est convaincu que les gens cultivés et curieux viendront tôt ou tard au jazz, une clientèle appelée donc à se régénérer spontanément.

Pour son catalogue, qu’il se doit de rafraîchir sans cesse, Arnaud n’a plus besoin de faire des kilomètres comme jadis pour démarcher ses fournisseurs. Aujourd’hui, ce sont eux qui viennent à lui. Des collectionneurs, souvent âgés, voire leurs héritiers, qui le contactent pour se séparer de fonds qui peuvent avoisiner les 8.000 pièces, des vinyles, des CD, dont certains ne seront bientôt plus réédités et qui peuvent de ce fait devenir collector. Des disques rares, de valeur, que Maurice se doit malgré tout de proposer à un prix raisonnable pour permettre une bonne rotation des stocks et surtout, pour donner à ses clients l'envie de revenir à la boutique.

« Il faut dire que je suis un peu incontournable dans le paysage, je suis connu comme le loup blanc.  A New York ou Genève, qui sont des places fortes du jazz, je n’ai pas encore vu d’équivalent à ma boutique…je n’ai donc pas à rougir de la mienne»  tient-il à préciser.

Aujourd’hui, Paris Jazz Corner compte trois salariés qui se répartissent sur les deux entités, dont une qui s'occupe de la vente à distance.

 « Avec le temps, certains de nos plus anciens clients sont devenus des amis. Ils viennent régulièrement à la boutique prêter main forte. En fait, on sirote plutôt le café, on passe des disques, on échange nos coups de cœur artistiques… »

Mais pour Arnaud, après vingt années de métier, la boutique n’est plus le seul objet de ses attentions. Son expertise, autant que les rencontres, l’ont amené à se diversifier (organisation de concerts, production d’artistes de jazz…). Il chronique également pour le magazine Jazz News et plus surprenant encore, Drouot le sollicite comme expert agréé, sans compter les sociétés d’assurance qui ont recours à ses services pour estimer une collection victime d’un fâcheux dégât des eaux.

A la question de savoir ce qu’il conseillerait à quelqu’un qui voudrait aujourd’hui suivre sa trace, il répond sans hésitation « de commencer jeune…Le temps compte ».

Paris Jazz Corner 

5 Rue de Navarre, 75005 Paris
tel : 01 43 36 78 92