Publié le 03/02/2017
Propos recueillis par Rémy Dreano (Video by courtesy of Olivier Borderie).
Le Salon international de l'agriculture va bientôt ouvrir ses portes et l'on va très certainement reparler encore et encore des vicissitudes du métier, des menaces qui planent sur les exploitations laitières et porcines, de l’embargo russe et de la chute des cours mondiaux des céréales...
Le paysage anxiogène qui nous est dépeint a de quoi décourager les vocations les plus tenaces.
Pourtant, tout n’est pas perdu, loin de là... Le retour à la terre est bien en marche, mais ceux qui marchent veulent choisir leur destin, en toute liberté, hors de l’agriculture conventionnelle le plus souvent.
Mary-Laure Ciron, femme énergique de 35 ans, est assez représentative de ces jeunes ruraux qui réinvestissent les parcelles de terre, prenant leurs responsabilités, sans tapage. Loin des pulsions militantes que les médias aiment à relayer, ce sont des jeunes qui cherchent avant tout à s’émanciper, en quête de bonheur dans le travail, proches de la terre et en harmonie avec elle, une philosophie de vie, plus qu'un combat militant.
Parmi ceux qui se lancent, on trouve des locaux et des néo-ruraux. Dans certains départements comme en Ariège, on observe que plus de la moitié des installations de jeunes agriculteurs se font hors cadre familial.
Pour Mary-Laure Ciron, ce n’est pas vraiment le fruit du hasard. Ses parents sont eux-mêmes agriculteurs dans le Perche, un parc naturel regional, à 160 kilomètres de Paris, connu et apprécié des parisiens pour ses collines boisées et ses espaces naturels vivifiants.
Pourtant, reprendre une parcelle de l’exploitation familiale ne faisait pas partie de ses projets.
“j’ai quitté l’école à 16 ans pour signer un contrat d’apprentissage en vente, car j’avais besoin de concret…"
Mary-Laure enchaîne alors les petits boulots dans la vente et les travaux saisonniers en agriculture…
“Etant plutôt manuelle, je me suis mieux retrouvée dans les travaux agricoles" affirme-t-elle. Et c’est fort logiquement qu’elle cède à l’appel de la terre.
“Je savais que j’aimais les fleurs, les épices, la gastronomie, la nature, mais je ne parvenais pas à faire la synthèse de mes intérêts.” confie-t-elle.
Ce que Mary-Laure sait en revanche, c’est qu’elle ne traitera pas sa terre avec des produits chimiques, comme certains de ses voisins.
Le déclic naîtra d’un article paru dans la France agricole
“il y était question de respect de la terre, de culture du Safran entièrement manuelle, non mécanisée, dans le sud de la France. Tout cela me parlait et je me suis dit, pourquoi pas moi ?…”
Nous sommes au début de l'été 2010, et une parcelle de 500m2 attend Mary-Laure.
“C’est une chance de pouvoir reprendre une parcelle à ses parents. Je suis partie à l’aventure en 2010. Parlons plutôt d'un apprentissage sur le tas, une marche après l’autre. Je me suis rendue chez un producteur de bulbes dans le gâtinais. J’ai passé l’après l’après-midi sur l’exploitation en participant à la récolte et je suis revenue avec 1.500 bulbes que j’ai aussitôt mis en terre. Tout a poussé, tout a fleuri normalement et j’ai fait ma première récolte en octobre” explique-elle.
Consciente qu'il lui faut laisser ses bulbes multiplier pour agrandir sa surface et que ce ne sera pas suffisant pour gagner sa vie, elle opte alors pour un travail de complément, un mi-temps chez un cultivateur de pommes de terre bio. Si pour elle, le produire sain est une évidence, sa culture de safran doit inévitablement passer elle-aussi en bio”
“Je suis en deuxième année de conversion en bio et je peux maintenant vendre mon safran en biocoop"
Depuis deux ans, notre jeune safranière est revenue à plein temps sur son exploitation et elle s’est ouverte au maraichage bio (courgettes oignons…), afin de compléter ses revenus. Elle parvient sans difficulté à écouler sa production, 100% artisanale et bio, il est vrai.
“Toutes les demandes viennent à moi” dit-elle. Des restaurateurs, des parisiens qui ont leur maison de campagne dans le coin… Passer en bio aide à commercialiser et aujourd’hui, Mary-Laure a moins besoin d’arpenter le territoire et elle peut se consacrer pleinement à ses cultures.
“Le safran, c’est d’abord de l’huile de coude et dame nature fait le reste. Pour produire un gramme de safran, il faut 150 fleurs. Alors, produire un kilo de safran, c’est énorme. Ma meilleure récolte, c’est 600 grammes, Hormis 2016 qui a été catastrophique, je n’ai pas à me plaindre…"
Notre safranière est volontaire et courageuse, mais cette année, elle a quand même demandé du renfort.
Jusqu’ici, j’ai manié la houe, chassé les limaces la nuit et récolté seule, mais récolter, émonder, c’est déjà beaucoup de travail et cette fois, j'ai fait appel aux amis et à la famille”…
Pour notre exploitante, l’important, c’est aussi de profiter de la vie. Récemment, elle s’est offert un petit séjour à la Réunion.
“j’ai encore de la surface de libre, je pourrais encore transplanter mes bulbes. Mais, ce que je recherche avant tout, c’est la qualité de vie. Je préfère gagner un peu moins et avoir du temps pour vivre, pour voyager. Faire ce qu’on aime avant tout, le bonheur au travail, c’est pour moi essentiel. Ce bonheur, je l’ai trouvé ici, dans le safran. J’ai réussi, je suis heureuse dans mon boulot, j’ai juste à espérer que ça continue…”
Dans le Perche, l’immobilier a un peu chuté, notamment dans les petits bourgs aux alentours, une situation qui fait plutôt les affaires de ceux qui veulent s'installer et entreprendre.
Pour Mary-Laure "l'idéal, pour l'avenir, serait de refaire vivre ces petits bourgs avec des commerces, des services de soins, une ginguette pourquoi pas... et surtout de partager avec ses voisins et de diviser les parcelles, afin que chacun puisse avoir son petit lopin de terre".
Depuis son installation, Mary-Laure a rencontré d’autres jeunes comme elle, qui veulent travailler au pays, soucieux d’une agriculture intelligente, locale et organisée en circuits courts.
Ensemble, ils ont rejoint le Collectif Percheron, qui rassemble de petits exploitants agricoles, en majorité jeunes, tous attachés à l'écologie et à l'agriculture paysanne.
Pour en savoir plus et vous plonger dans l'univers de Mary-Laure Ciron, je vous recommande le film d'Olivier Borderie : "La demoiselle et la fleur de safran". Une production OHI. Contact : 06 60 72 67 47
Mary-Laure Ciron, safranière à la Bordé-Cellier
61260 Ceton
Tel : 06 21 48 37 89