Publié le 05/12/2013

Les hommes du Tramway

Les hommes du Tramway

Par Rémy Dreano. "In Portraits de métiers".

 

C’est un lieu commun de dire que le secteur des Travaux Publics peine encore à recruter, même en période de crise, et pourtant, les métiers des TP valent bien mieux que tous les clichés, parfois péjoratifs, qui s’y attachent.

Une véritable injustice si l’on considère les efforts entrepris ces dernières années par les entreprises en matière de sécurité et de mécanisation. A ce crédit, on peut également ajouter des journées de travail plus courtes depuis le passage aux 35 heures, et surtout, une politique salariale qui en étonnerait plus d’un. Du coup, la profession pouvait légitimement en attendre un regain de vocations, et pourtant…

Originaire de Braga, Alvaro est venu très tôt rejoindre son père dans son entreprise de T.P spécialisée dans les grands travaux en tuyauterie industrielle (pose de canalisations, pipelines…).

Entré en 1967, l’homme gravit les échelons, passant successivement de terrassier à plombier-égoutier puis, de chef d’équipe à maître ouvrier fontainier, un titre qu’il revendique non sans une certaine fierté.

« J’ai débuté dans le métier avec la pelle et la pioche, le jour de mes 18 ans. » se souvient Alvaro.

« A l’époque, il faut le reconnaître, le travail était dur, bien plus dur qu’aujourd’hui. Il n’y avait pas tous ces engins pour nous faciliter la tâche » lâche-t-il en désignant du regard l’imposante pelle mécanique qui vient appuyer l’essentiel des gros travaux de terrassement et de manipulation.

« Nos conditions de travail se sont largement améliorées au fil des ans. Il y a trente ans, les accidents étaient fréquents. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, car la plupart des tâches ingrates et dangereuses sont mécanisées. Du coup, notre travail est plus facile, plus diversifié aussi » poursuit-il.  « Aux jeunes qui débutent, je dis souvent que ce n’est dur qu’au départ, le temps de s’acclimater et de prendre ses repères. Je leur dis aussi que nos entreprises offrent de rapides promotions, à condition d’être sérieux dans le travail ».

D’ailleurs, notre homme ne se prive pas de faire la promotion de son métier. « J’ai ma petite filière. Ici, j’ai formé pas mal de jeunes du pays ».

Et Alvaro de s’expliquer « Dans les années 70, la plupart des cadres étaient français de souche, puis on a vu arriver progressivement une main d’œuvre issue de l’immigration. Ce n’est pas un hasard si beaucoup de mes compatriotes occupent aujourd’hui des postes d’encadrement ». Une vague qui d’après lui s’est très nettement ralentie depuis l’entrée du Portugal dans l’Union  «Au pays, le niveau de vie a quasiment rejoint le nôtre ici. Alors, ça devient difficile de convaincre nos jeunes de s’expatrier, même si chez nous, en ce moment, ça va mal dans le bâtiment » explique-t-il.

« Ici, et c’est dommage, les jeunes ne se posent pas les bonnes questions. Pourtant, notre boulot ne tue pas son homme. Regardez-moi, est-ce que j’ai l’air usé ? », comme pour convaincre des bienfaits du métier. Sa recette pour durer : une bonne hygiène de vie, bien manger, boire… de l’eau surtout et faire la fête raisonnablement…

Sur ce chantier à ciel ouvert, situé sur l’un des tronçons du futur tramway T3 des maréchaux, des dizaine d’entreprises s’activent depuis des mois.

Des travaux préliminaires d’opportunité qui visent à renouveler les canalisations souterraines d’alimentation en eau,  des pièces en fonte presque centenaires, vieillissantes et que menacent les vibrations et tassements occasionnés par le passage des poids lourds et bientôt du tramway.

Sous un beau soleil, l’ambiance est plutôt conviviale, familiale même, autour de la tranchée.

Au fond d’une excavation creusée à 3m60 de profondeur, bordée par deux rangées de palplanches métalliques posées par les mineurs boiseurs, une équipe parfaitement rodée s’emploie à l’installation de ces nouvelles canalisations de fontainerie.  Sous l’œil attentif et bienveillant d’Alvaro, quatre hommes sont à la manœuvre.

Une gerbe d’étincelles jaillit du fond d’un des imposants tuyaux de canalisation. Le soudeur termine l’une des dernières passes de soudure, un labeur estimé à 4 bonnes heures, dont 2 passées à l’intérieur d’un tube acier d’1m20 de diamètre. Un travail minutieux qui exige une grande technicité.

« Quatre passes de soudure à l’arc sont nécessaires pour assurer une bonne étanchéité du raccordement » explique Alvaro. Des soudures qui seront ensuite contrôlées, avant de passer la peinture expoxy. « Plus tard, on fera un test d’étanchéité pour s’assurer qu’il n’y a pas de fuite – 12 bars de pression envoyées dans les canalisations pour parer à toute éventualité, car, une grosse canalisation qui cède, c’est très spectaculaire et surtout, ça fait de très gros dégâts ».

Midi vient à sonner, c’est l’heure du casse-croûte, et il fait chaud. Chacun pose le casque et rejoint comme un seul homme l’Algeco qui fait office de cantine collégiale pour la vingtaine d’ouvriers de chantier.

« Cette après-midi, Le conducteur de pelle mécanique devrait pouvoir descendre le dernier tube.» lâche Alvaro. Une quinzaine d’heures seront ensuite nécessaires pour cintrer le tout et finaliser le raccordement au tronçon voisin.

Pour lui comme pour son équipe, le chantier n’est pas fini. La semaine prochaine, ou une autre, ce sera sur un autre lot, à ciel ouvert ou comme souvent en galerie souterraine, à l’abri des intempéries mais, sans bleu azur au dessus du casque.