Publié le 24/01/2014
Propos recueillis par Rémy Dreano.
Le secteur de la presse écrite traverse actuellement une profonde mutation.
Menacés sur leur flanc gauche par la percée du numérique et, sur leur flanc droit, par la chute des recettes publicitaires et des abonnements, certains titres sont aujourd’hui en péril.
Si la période est anxiogène, la presse fait néanmoins preuve d’un certain dynamisme et tout n’est pas perdu pour les journalistes.
On ne compte plus en effet le lancement de nouveaux titres, sans compter ceux qui n’existent qu’en version numérique.
Si beaucoup ne survivent pas à leur lancement, d’autres parviennent à s’installer durablement et même à « faire des petits ».
C’est le cas de Béton[s] le magazine, un bimestriel destiné aux professionnels de la construction lancé en novembre 2005 par Frédéric Gluzicki. « Le principe de la création d’un magazine m’est venu dès le milieu des années 1990. A l’époque, je travaillais comme journaliste pour un mensuel du secteur de la construction. Plus tard, j’ai affiné mon projet à travers une observation simple : je m’étonnais qu’un pays comme le nôtre, champion en matière de R&D sur le béton, n’ait pas son journal spécialisé” explique Frédéric.
Mais, entre l’idée et le lancement du premier numéro, quinze ans se sont écoulés, le temps nécessaire à une bonne gestation.
“Nous venons de sortir le 50ème numéro, sans compter les 14 numéros Hors série. Si vous comparez le premier au dernier, vous constaterez que la charte rédactionnelle n’a que très peu évolué. Tout a été soigneusement pensé dès le départ, le logo est toujours le même et j’ai mis d’emblée la barre très haut pour ne pas être copié”.
Il est vrai que, dès qu’un titre trouve son lectorat et son modèle économique, il y a toujours un concurrent qui pointe à l’horizon. C’est un facteur à prendre en compte qui oblige chaque éditeur à se surpasser. « Un logo, un modèle peuvent être déposés à l’INPI, pas une idée…», reprend Frédéric. Et de poursuivre : « Nous avons commencé à trois : un journaliste, un commercial et un gestionnaire. La gestion est un poste qu’il ne faut surtout pas sous estimer. Chez nous, ce poste comprend le marketing, les contacts avec les exposants, les abonnements et, bien sûr, la gestion pure et dure »
« Je me définis comme journaliste reporter, même si ma fonction officielle est celle de directeur de publication, avec une forte vigilance sur ce qui est publié”.
Des débuts qui voient Frédéric au four et au moulin… Quatre mois pour préparer le n° 1 avant le choc de l’impression, puis le temps nécessaire à installer Béton[s] le Magazine dans son paysage et à trouver l’équilibre financier.
Il existe en effet des disparités entre les différentes catégories de presse (presse magazine, presse quotidienne nationale ou régionale, presse spécialisée….). Certains titres dépendent largement du lectorat quand d’autres tirent l’essentiel de leur revenu des annonceurs. C’est le cas de Béton[s] le Magazine et, de manière plus large, de l’essentiel des revues dites professionnelles et de bien d'autres titres grand public.
“La presse spécialisée a son propre modèle économique, bien différent d’un titre comme Closer qui a fait parler de lui récemment. Mes lecteurs sont aussi mes donneurs d’information et mes annonceurs. Et, contrairement à ces titres, nous courrons pas après le scoop. Notre travail consiste à faire remonter une information technique et stratégique aux professionnels eux-mêmes”.
A la question de savoir s’il est mieux d’être d’abord un journaliste plutôt qu’un spécialiste du bâtiment, Frédéric a un avis tranché. Il préfère clairement un journaliste de métier qui aura à se plonger ensuite dans l’univers du béton, de ses composants, de ses avancées technologiques….
« Pour mon premier poste de journaliste, j’y suis allé au culot. A la base, je suis titulaire d’un brevet de technicien en BTP effectué au lycée Gustave Eiffel, à Gagny (93). Je n’ai travaillé que trois mois comme aide-conducteur de travaux. Je me rêvais plutôt en photographe et mon intérêt pour l’écriture n’est pas non plus le fruit du hasard. J’étais en réalité bien meilleur en français qu’en maths ! »
“Dans tout projet, l’essentiel est d’avoir la bonne idée. Le reste, on s’en fiche !” affirme même Frédéric.
Mais de là à lancer son propre magazine… il y fallait bien sûr une forte intuition et, comme son géniteur le reconnait, “on tourne un bon moment autour du projet avant de se lancer ”.
Pour asseoir ses connaissances, Frédéric n’a pas hésité à frapper à la porte du CFPJ pour suivre une formation intensive aux techniques journalistiques (1993), suivi, quelques années plus tard (2003) d’un bilan de compétences, moins pour définir son projet - qui était déjà clair - que pour se forger une conviction.
“Il y a une certaine cohérence à tout cela. J’aime la photographie et l’écriture… Je connais l’univers du BTP et celui de l’imprimerie ne m’était pas totalement étranger. C’est important quand on lance un journal de savoir ce qu’est un cahier de seize pages, pour ce qui concerne la fabrication d’une revue, et de faire la différence entre un ciment et un béton, pour ce qui touche le contenu rédactionnel !”
Sur l’avancée du numérique qui bouleverse la presse, Frédéric n'est pas particulièrement inquiet.
« Tous les secteurs de la presse sont concernés par Internet. C’est un formidable outil de communication. Par contre, il est très difficile de tirer de la plus-value à travers ce média que d’aucuns estiment gratuits. C’est pour cela que je ne me précipite pas pour basculer mon magazine vers une version 100 % numérique. Internet constitue pour mes magazines une vitrine et un exutoire pour les actualités (communiqués de presse en particulier) que tous les journalistes reçoivent et que l’on reprend tel quel, avec un peu de réécriture, mais sans aucune valeur ajoutée. L’information creusée, enrichie, validée, elle, n’est encore disponible que dans la version papier, disponible sur abonnement payant ".
Béton[s] le Magazine va bientôt fêter son dixième anniversaire. Déjà, il n’est plus tout seul, car entre temps, notre reporter journaliste et éditeur a racheté le titre CBCP à un confrère, un trimestriel appelé à devenir un supplément de Béton[s] le Magazine et plus fort encore, il a lancé, un nouveau titre répondant au nom de Bâti & Isolation, au moment même où la crise reprenait de la vigueur. Aussi, la question se pose du devenir de ce bimestriel qui pourtant a reçu bon accueil et dont l’intérêt même n'est pas remis en cause.
Même si la pression est forte, le métier de journaliste reporter - éditeur procure encore bien des satisfactions.
“J’ai toujours le plaisir d’écrire et de réussir de belles photos, comme celle que j’ai prise du MUCEM pour l’un des derniers numéros et qui met en valeur sa dentelle de béton”.
Aujourd’hui, la petite entreprise de Frédéric est bien installée dans ses locaux du XXe arrondissement, aussi confortables que bien architectés. « On a eu de la chance de tomber sur ce local bien sympathique »
Aujourd’hui, les Editions AvenirConstruction (c’est le nom de la société de notre journaliste éditeur) comptent une petite dizaine de collaborateurs, journalistes, pigistes et autres postes fonctionnels.