Publié le 03/02/2023

Dossier / L'algue, une ressource aux multiples débouchés

Dossier / L'algue, une ressource aux multiples débouchés

Par Hervé Dreano, Ambassadeur Safe Seaweed Coalition.

Les Algues marines

Ce n'est pas une plante, mais elle fait partie du règne végétal en tant qu'organisme vivant se développant dans le milieu marin (en fait, il s'agit du plus ancien des végétaux apparus sur terre). Pour résumer en quelques mots, c'est le principe de photosynthèse qui permet à l'algue d'absorber la lumière du soleil tout en élaborant de la matière organique par captation du dioxyde de carbone (le CO2).

L'algue n'a jamais été autant au cœur de toutes les convoitises, suscitant l'intérêt à l'échelle planétaire. On lui prête en haut lieu, notamment à l'ONU, de multiples vertus qui prennent aujourd'hui une résonance particulière dans le contexte du dérèglement climatique et de perception accrue de ses fâcheuses conséquences : restauration des écosystèmes marins, diminution de l'acidification des océans, source inépuisable de captation du C02, aliment de substitution ou complément alimentaire pour les humains et les animaux. De plus, elle n'a besoin ni d'électricité, ni de machines, ni de fertilisants, ni d'eau douce (cela va de soi!) pour se développer. Elle est donc à la pointe de la sobriété énergétique tant revendiquée aujourd'hui.

Pas une seule conférence professionnelle internationale traitant de la protection des océans ou de l'économie maritime ne se déroule ces dernières années sans que des experts ou acteurs de la filière ne soient invités à débattre sur le potentiel inexploité de l'algue et de ses infinies vertus. De Brest à New York, de Lisbonne à Monaco, ce « champion de l'océan » est devenu une sorte « guest star », prétexte convivial et tactile de communication... et peut-être, tout simplement, la solution à bien des problèmes de la planète.

Les articles qui traitent de l'algue dans la presse régionale ou spécialisée (alimentation, médecine, économie maritime.. ) sont légion, ainsi que les podcasts ou interviews radio sur des success stories de l'algue. Un ouvrage exhaustif et bien documenté sur la Révolution des Algues a été publié en 2022. Son auteur Vincent Doumeizel, conseiller-expert sur les océans au sein de l'ONU a écumé depuis cette date, les conférences, les visites d'écoles et les librairies pour diffuser la bonne parole sur cette ressource, au demeurant assez méconnue. Une ressource à laquelle L'Aquarium Tropical de Paris a consacré il y a peu une exposition tout simplement intitulée "Algues marines".

 

L'algue est aussi aujourd'hui à l'origine de nouvelles formes de packaging qui pourraient remplacer à terme les emballages en plastique pour l'alimentaire, les fameux PET (polyéthylène téréphtalate) qui présentent l'inconvénient de ne pas pouvoir être recyclés à l'infini. On en prône d'ailleurs l'abandon. Ses multiples usages et bénéfices dans le domaine de la cosmétique, de la parapharmacie, de l'alimentaire comme gélifiant ou encore de l'agroalimentaire comme fertilisant, ne sont plus à démontrer.

 

Ce végétal chlorophyllien aquatique est désormais au menu d'un nombre croissant de restaurants et de grands chefs dans le monde entier. Ces derniers prônent ses valeurs nutritives en protéines et vitamines, sans compter ses attributs et apports gustatifs. Elle se décline sous toutes les formes et origines sur les rayons des marchés et épiceries bio. A la veille des confinements de 2020, lorsque les Européens se ruaient dans les supermarchés pour faire provision de pâtes et de riz, les asiatiques préféraient de loin se ravitailler en algues ou produits dérivés. Ces derniers consomment l'algue depuis bien longtemps. Au Japon, c'est même le légume du quotidien. L'algue est omniprésente, du dentifrice à la bière, en passant par la pâtisserie et les incontournables sushis.

 

L'algue est une source de revenus et d'emplois non négligeables, en développement, s'inscrivant pleinement dans les écosystèmes maritimes professionnels et locaux. C'est ce à quoi s'attache la très respectable institution Suisse Lloyds Register qui, en collaboration avec l'ONU, a fondé en 2020 la Safe Seaweed Coalition*, qui réunit experts scientifiques, acteurs et amateurs de la filière. Leur site héberge également le très solennel Manifeste des Algues plaidant pour l'exploitation et l'utilisation des algues dans un avenir responsable.

Il faut enfin ajouter que les autorités publiques, les populations locales, les pêcheurs, ostréiculteurs, professionnels des activités subaquatiques et offshore, ainsi que les structures de loisirs (nautisme, tourisme de littoral) doivent pouvoir aussi bénéficier d'une information équitable, exponentielle et qualitative en amont des opérations d'exploitation prévues, ce pour obtenir le consentement nécessaire et indispensable, voire même la collaboration et la co-activité entre les diverses parties prenantes.

L'exemplarité de l'écosystème breton

La Bretagne, région par définition ouverte sur l'océan, peut se targuer de disposer aujourd'hui d'un réseau particulièrement complet et performant en établissements, associations, et entreprises autour de l'exploitation, la transformation, la distribution et la promotion des algues. C'est aussi le premier champ d’algues européen. Jadis, les algues étaient ramassées à usage de fertilisant naturel. Aujourd’hui, elles sont bien présentes dans l’agroalimentaire, le textile, la pharmacie et la cosmétique notamment. 

Toute la chaîne de valeur, du producteur au consommateur, y est représentée.

Près de 80 entreprises (soit 85% du total de la filière) récoltent, produisent et transforment en région (environ 1.200 emplois). GoëmarOlmixRoullier sont à la pointe de l’innovation. A noter que l’algue verte est aussi utilisée comme aliment dans les cinq fermes françaises d’élevage d’ormeaux.

Le voyage commence à Lesconil, dans le Sud-Finistère où des algues, dites luminaires, sont cultivées sur environ 150 hectares en pleine mer. Son exploitant, Algolesko, développe cette ressource depuis la semence jusque l'assiette ou le spa en thalassothérapie. Ce petit port Bigouden abrite aussi une structure plus modeste, Marinoe, qui préserve la récolte manuelle en son cœur de métier et qui se développe dans la transformation et la commercialisation d'algues à usage alimentaire.

Le Nord-Finistère n'est pas en reste. Chez Biocean ou Algoplus près de Roscoff, la récolte se fait encore manuellement sur les plages à grande marée. L'esprit artisanal y est encore prégnant. La petite entreprise Algood, située dans la baie de Saint Brieuc à Trégueux, se concentre plutôt sur la conservation de la ressource disponible, les pieds dans l'eau, par un process innovant de valorisation des algues fraîches. L'algue s'affiche ainsi comme un légume de  mer plutôt qu'une « graine de mer » comme le laisserait entendre une mauvaise traduction en français du terme anglais Seaweed. Les experts internationaux bataillent actuellement pour requalifier officiellement l'algue comme un authentique légume de mer (sea vegetable) pour finement et justement orienter les populations vers davantage de consommation alimentaire.

Pour illustrer le potentiel de co-activité évoqué plus haut entre les différents acteurs de la filière maritime, l'entreprise France Haliotis exploite à l'embouchure de l'Aber Wrach en Nord-Finistère la culture des algues en pleine symbiose, une aquaculture intégrée avec celle des ormeaux dont elle tire son revenu principal. 

Installé dans le Morbihan à Bréhan, en plein centre Bretagne, où la distance relative avec le milieu marin pourrait à première vue constituer un handicap, le Groupe OLMIX se développe à l'international depuis plus de 20 ans pour élaborer des solutions et produits à base d'algues à usage alimentaire et agricole, en collaboration avec les agriculteurs et distributeurs sur le local et à l'international. Ce Groupe qui compte 650 employés sur 36 filiales à l’international dans le monde se revendique pionnier dans l'innovation et la transition agro-écologique.

Les utilisations possibles de l'algue en cosmétique sont nombreuses. Ce n'est pas un hasard si la région Bretagne est plus spécialisée sur la cosmétique marine. Près de 170 entreprises comme Yves Rocher à Redon, Formaderm à Morlaix, Endro Cosmétiques à Lannion, Yslab à Quimper interviennent sur le créneau. 

Un peu plus au nord, à St Etienne-du-Gué-de-L'Isle dans les Côtes-d'Amor, l'association Merci les Algues regroupe des acteurs de la transition écologique, institutionnels, académiques, scientifiques, agriculteurs, distributeurs, récolteurs, transformateurs ou simples citoyens-consommateurs. Tous œuvrent ensemble à l'émergence d'une filière durable et contrôlée de l'Algue Française. 

Le tissu académique et scientifique n'est pas à la traîne, bien au contraire. Il a souvent été promoteur de ces activités, offrant une caution fiable et raisonnée au bon développement et usage des algues en apportant ainsi toute l'expertise et la formation nécessaires. Au premier rang, on peut citer la Station Biologique de Roscoff dans le Finistère nord. C'est le Centre de recherche et d’enseignement en biologie et écologie marines qui dépend lui-même du CNRS et de Sorbonne Université. La Station se concentre sur la recherche, la formation, l'innovation et le transfert de technologies. Elle coordonne entre autres un projet de recherche nommé IDEALG qui associe des établissements publics de recherche tels qu'IFREMERl'Université de Nantes, ainsi que cinq entreprises bretonnes spécialisées dans l’aquaculture et la valorisation des algues. Pour une meilleure acceptabilité du public vis-à-vis des opérations d'exploitation des algues, ce projet encourage plus particulièrement la culture d'espèces indigènes non modifiées et non invasives par le biais d'études exigeantes d'impact environnemental. Une unité de la Station Biologique est dédiée également à la biodiversité et l'évolution des algues marines. On y travaille en coopération étroite avec deux universités chiliennes. Le Chili est en effet le premier pays producteur d'algues en Amérique Latine, essentiellement exportées vers le Japon et la Chine. Le projet IDEALG est également cautionné par le très respecté CEVA (Centre d'Etudes et de Valorisation des Algues) situé à Pleubian dans les Côtes d'Armor au plus près de la ressource, un acteur clé de l'écosystème local autour des algues.

Information au public

  •  L'Écomusée de Plougerneau. Situé à la Pointe de la Bretagne au nord de Brest, ce musée est complètement dédié aux algues, à son histoire et à celle des goémoniers qui récoltent l'algue depuis des siècles, une ressource utilisée comme engrais pour les champs agricoles environnant. 
  • L'association Food'algues développe des animations et des formations visant à fédérer autour de la cause des algues bretonnes surtout dans le domaine alimentaire et des recettes de cuisine.
  • *La Safe Seaweed Coalition vise à assurer la promotion de la production et de la consommation des algues dans un cadre et environnement maîtrisé, à partager les bonnes pratiques et à harmoniser les réglementations au bénéfice des populations.

Emploi (non exhaustif)

Formation (non exhaustif)

Certaines des formations pourraient s'adresser à des personnes en recherche d'emploi avec l'appui de Pôle Emploi à l'obtention de certaines aides à la formation. Elles ne sont cependant pas éligibles au CPF. Le CNRS n'est plus hélas en phase active de recrutement mais embauche occasionnellement des ingénieurs et techniciens. Il en est de même pour l'IFREMER à Brest.

Une des écoles internes de Sorbonne Université. Formations de licence à master. Des formations pour professionnels et classes d'été. Organise des forums sur la valorisation des algues.

Le parcours de Licence professionnelle AMARE (Aquaculture des Micro-Algues et Revalorisation Economique), mention Bioindustries et biotechnologies est proposé à partir de la 3ème année. Il s'agit de former des experts techniques en production, valorisation et commercialisation des microalgues en utilisant des pratiques d’économie circulaire.

Propose une licence pro CPTIM (Culture et Procédés de Transformation Industrielle des Micro-algues)

Quelques exemples de diversification autour de l'algue.

La densité de l'écosystème breton est telle qu'il est impossible d'en dresser un tableau exhaustif. On peut citer entre autres : 

Neptune Éléments : Co-fondée par une ancienne avocate parisienne, cette petite structure en plein développement commercialise, par voie digitale essentiellement, des algues à saupoudrer contenues dans un élégant packaging ou bien encore des produits tartinables. Son site Internet affichait des offres d'emploi il y a peu.

Spiru' Marine : un fabricant de Spiruline à Sarzeau dans le Morbihan. La spiruline n'est pas stricto sensu une micro-algue, comme elle est souvent qualifiée à tort, mais une cyanobactérie qui se développe néanmoins par photosynthèse comme les algues. Elle n'en possède pas moins des qualités nutritionnelles exceptionnelles et se décline à l'envi dans l'alimentaire et la cosmétique.

Algaïa : un fabricant d'extraits à base d'algues pour l'industrie alimentaire basé à Lannilis dans le Nord-Finistère.

Brasserie des Abers : La Ouessane est une bière blonde à fermentation haute dans laquelle est incorporée en fin de cuisson, l’algue alimentaire « wakamé ».

Design textile, et pourquoi pas....

Violaine Buet  :  a créé à Auray (56) Seaweed Design, un atelier de design et de conception d'objets d'art et de tissus à partir d'algues soigneusement sélectionnées sur les plages de la région.

Pour aller plus loin : Le Guide des ressources emploi propose plusieurs fiches (industrie cosmétique, mer (cultures marines), chimie verte etc.) qui font état des activités liées à la filière, incluant les entreprises concernées dans les bassins d'emploi